Introduction
Depuis
la machine
de Turing –
l'ancêtre de nos ordinateurs - imaginée en 1936 par le génie du
même nom, nous avons réalisé des percées techniques phénoménales.
Cette accélération technique nous permet de réaliser plus de
choses par unité de temps dans notre société moderne.
Je
suis la première à m'émerveiller des nouvelles technologies et
j'en vois les bénéfices dans divers domaines comme celui de la
santé. Alors pourquoi cet article et ce titre ? L'écriture de
ce billet a été motivée par une rencontre qui m'a donné l'envie
d'écrire sur les bénéfices du healthcare, la lecture de plusieurs
articles dont un récent au titre provocateur de « Can
robots replace humans ? »
et enfin par ma passion pour ces sujets. L'objectif de ce billet est
de remettre en relief les bénéfices de l'accélération technique
mais également ses risques.
1.
Quels sont les avantages de cette accélération technique ?
Les
exemples des bénéfices des progrès techniques dans divers secteurs
sont multiples. Le but n'est pas de tous les citer - de nombreux
ouvrages les mentionnent déjà - mais d'en énumérer quelques-uns.
1.1.
Healthcare : vivre plus longtemps et mieux
Ce
chapitre me tient particulièrement à cœur.
J'ai
eu l'occasion d'échanger avec un homme courageux il y a deux mois.
Sa femme est atteinte de la maladie d'Alzheimer à 54 ans. Il s'est
confié sur la nécessité de la surveiller continuellement et du
bénéfice des bracelets connectés. Ces bracelets ne sont pas
nouveaux, certaines maisons de
retraite françaises en équipent leurs résidents souffrant de cette maladie depuis 2009 afin de signaler automatiquement les
malaises et éviter les fugues. Il m'a également confié que sa
femme oubliait régulièrement de prendre ses médicaments, je lui ai
informé des nouveaux systèmes d'aide à la prise de médicaments.
Il est touchant de voir de quelle manière ces travaux permettent
d'améliorer des vies. Cependant, la « démocratisation »,
les questions du coût et de la prise en charge des nouvelles
solutions de healthcare par les systèmes d'assurances sociales
restent des sujets entiers à traiter.
Dans
une autre branche médicale, l'imagerie
médicale du futur bénéficie
de l'évolution technologique pour se perfectionner dans la
prévention, la détection précoce, le suivi de l'évolution d'une
maladie mais également la personnalisation du traitement. C'est le
cas dans la lutte contre la maladie d'Alzheimer.
Par
ailleurs, le Big Data, l'analyse des données en masse, permet une
meilleure compréhension de notre monde. Les applications dans le
domaine de la santé sont nombreuses notamment le
super-calculateur Watson permettant
l'analyse des mutations génétiques à l'origine des tumeurs et donc
d'accélérer la recherche contre le cancer.
Il
y a beaucoup d'autres exemples, comme la biotechnologie, la
nanotechnologie, les nouvelles prouesses prothésiques, la
multiplication des health apps permettent de prévenir ou de
surveiller certaines maladies cardio-vasculaires, obésité, diabète,
etc. Toutes ces nouvelles technologies permettent de prolonger la vie
et de mieux vivre.
1.2.
Meilleure gestion de notre environnement
Bien
sûr, il y a également des applications dans le domaine de
l'environnement avec les énergies renouvelables, les batteries de
stockage d'énergie, les compteurs intelligents, les smart grids qui
permettent une meilleure régulation de la production et de la
consommation énergétique, les capteurs anti-pollution,
l'ultrafiltration membranaire pour le traitement des eaux, les
étonnantes bulles comestibles pour remplacer les bouteilles d'eau en
plastique, etc. Cela montre d'une part qu'il y a une prise de
conscience collective de la nécessité de préserver notre
patrimoine naturel et d'autre part que les avancées techniques
peuvent y contribuer.
1.3.
Vers de nouvelles expériences utilisateurs et un service
personnalisé
Les
objets /services connectés, le Big Data, le data management, le
parcours client omnicanal, les bornes tactiles interactives dans les
points de vente, l'usage du mobile généralisé, la convergence du
« offlline » et du « online », tous ces
sujets ont un point en commun, une meilleure connaissance du client
afin de lui offrir un service personnalisé, de simplifier son
quotidien et d'enrichir l'expérience utilisateur. Tout cela part
d'un besoin de faciliter notre quotidien.
1.4.
Un levier économique pour les entreprises
La transformation numérique contribue aux résultats d'une
entreprise et reste un de ses principaux leviers économiques et de
compétitivité.
2.
Quels en sont les risques ?
Un
système complexe est caractérisé par les interactions d'un grand
nombre d'éléments mais aussi une complexité qui empêche d'en
prévoir les rétroactions. La complexité s'accroît avec
l'augmentation du nombre d'éléments. L'exploration des données
nous permet de mieux comprendre notre environnement mais pas de
prévoir les aléas car les modèles analytiques se basent forcément
sur ce que nous connaissons et évidemment pas sur ce que nous
ignorons.
La
société est un système complexe et cette complexité s'est accrue
avec sa modernisation et la mondialisation. Ainsi, l'éruption du volcan islandais Laki en
1783 aurait contribué indirectement au déclenchement de la révolution française de 1789 : l'émission de dioxyde de souffre aurait eu pour conséquences des bouleversements climatiques exceptionnels détruisant les récoltes, contribuant à la famine - une des causes de la révolution française. Narrative fallacy? ;) Dans tous les cas, les impacts se sont étendus avec la mondialisation comme le montre l'éruption
du volcan Eyjafjallajökull en
2010 qui a eu des conséquences physiques et économiques locales mais
aussi à l'échelle internationale. La crise des subprimes en 2007
est également un bon exemple d'effet de propagation lié à la
mondialisation de la société moderne, de même qu'il est devenu
nécessaire d'établir une gouvernance mondiale synchronisée afin de
contenir la propagation de certaines épidémies.
Une
autre caractéristique de la société moderne est l'accélération
permise par l'accélération technologique. Alors que peut donner le
mariage entre une complexité accrue et une accélération ?
Probablement, une maîtrise diminuée et des impacts accélérés si
nous ne prenons pas garde. D'où l'importance d'être prudent et de
ne pas se précipiter car la marche arrière peut être difficile
voire impossible.
Alors
quels pourraient être les risques possibles de cette accélération technique ?
2.2.
Des impacts écologiques
La
nature est un écosystème complexe où êtres vivants, éléments,
structures sont imbriqués les uns aux autres. J'ai une illustration
forte en tête : les abeilles sont un maillon indispensable dans
l'écosystème terrestre via le processus de pollinisation nécessaire
à la reproduction des plantes, maillons de la chaîne de vie.
Pourtant, l'utilisation irraisonnée des pesticides, d'antibiotiques
et les manipulations génétiques ont fragilisé et menacent de
disparition cette espèce et donc tout l'écosystème. Nous voulions
augmenter la productivité, réduire les risques d'infections et
finalement nous dégradons notre environnement. Afin de rattraper la
situation, certains chercheurs travaillent sur la préservation de
certaines espèces sauvages. Est-ce que cela sera suffisant ?
Allons-nous devoir polliniser nous-mêmes les plantes comme cela est
fait dans les vergers de Sichuan en Chine ? Nous n'avons pas su
anticiper les impacts collatéraux et la complexité de ce système
nous empêche de toute façon d'en connaître finement toutes les
rétroactions.
Dans
un autre registre, l'exploitation du gaz de schiste, dont le but est
d'augmenter les approvisionnements énergétiques mondiaux, a causé
des contaminations des nappes phréatiques et une fragmentation des
paysages. Ce sujet ramène bien sûr à la problématique de
l'épuisement des ressources naturelles et à l'évolution de
l'empreinte écologique mondiale qui ne fera qu'augmenter avec la
croissance démographique et la croissance de la production
industrielle mondiale si nous ne réagissons pas.
2.3.
Des impacts socio-économiques et culturels
2.3.1.
Emploi et modèle économique
Avec
la robotisation, l'automatisation, la digitalisation se posent bien
sûr le problème de la suppression et de la polarisation des emplois
ainsi que l'accroissement des inégalités.
La
théorie de « l'effet de déversement » suppose que le
gain de productivité d'une entreprise grâce aux progrès techniques
va se traduire par une augmentation des salaires, une baisse des prix
et donc une augmentation des revenus qui se porteront sur d'autres
secteurs où la production et la création d'emplois vont donc
croître, une hausse des investissements, tous ces points contribuant
à la croissance économique. La technologie détruirait des emplois
mais en créerait autant par ailleurs. Les personnes licenciées
pourraient trouver des emplois dans les nouvelles entreprises
auxquelles s'adressent les nouvelles demandes. Avec l'accélération numérique, cette théorie est remise en cause :
- Cette théorie n'est plus valable s'il n'y a pas redistribution des gains de productivité donc si la hausse de salaires, la baisse des prix et la hausse des investissements sont remplacées par une hausse des bénéfices non investis. Il est donc primordial de s'assurer de cet équilibre.
- La reconversion professionnelle n'est pas fluide pour des raisons évidentes d'écarts de qualifications entre les emplois supprimés et les nouveaux emplois à pourvoir. D'où la nécessité de mettre en place des programmes de formation permettant de préparer ces reconversions professionnelles. De la même manière, l'éducation a un rôle majeur dans la préparation et l'orientation des générations futures aux nouveaux métiers. Elle doit surtout permettre de développer leurs capacités d'adaptation.
- Le problème de l'accroissement des inégalités se pose également car les nouveaux emplois liés aux nouvelles technologies sont des emplois qualifiés. Afin de limiter les inégalités, ce « déversement » devrait s'appliquer à la majorité de la population active, tous les niveaux de qualifications confondus.
- Un secteur quaternaire est évoqué dont la définition évolue en fonction des auteurs : « services de santé », « services à la personne », « services fondés sur la connaissance », « éducation supérieure », « recherche et développement », « communicationnels », « artistiques » ou « relevant de finalités personnelles et sociales ». Finalement, tous les secteurs sont touchés par l'accélération numérique : le domaine de la santé (ex. : stratégie nationale de e-santé fondée sur la robotique au Japon), la recherche (super-calculateurs dans la R&D), la formation (MOOC), le retail, l'assurance, le secteur bancaire, les transports, l'énergie, la construction, la communication (réseaux sociaux) et même l'artisanat (ex. : numérisation, 3D printing, « Do It Yourself »), etc. Dans ce contexte, de façon durable, sur quels secteurs vont se déverser les emplois supprimés ? Est-ce qu'ils vont permettre d'assurer une constance voire une expansion de l'emploi ?
- Ce « déversement » s'il y a lieu, ne sera pas immédiat surtout s'il n'est pas anticipé.
Par
ailleurs, l'économie collaborative, « l'uberisation »,
l'infiltration de certains mastodontes du numérique dans des
secteurs d'activités diversifiés et hétérogènes semblent faire
croire que nous tendons vers un modèle concentré autour de gros
fournisseurs de plate-formes de services.
2.3.2.
Vie privée et éthique
Avec
le Big Data, l'Internet Of Everything, se posent les questions de la
sécurité des données, de la confidentialité et les risques pour
la vie privée.
D'autre part, le
débat éthique autour de la convergence des techniques bio-médicales
et des pratiques sélectives, pouvant amener vers l'eugénisme ou
l'éradication des caractères pouvant être jugés comme
handicapants et défectueux, reste entier.
2.3.3. Impacts culturels
Le progrès technique a contribué de façon évidente à l'ouverture des frontières entre les pays et a facilité l'accès aux éléments culturels de pays très éloignés. L'un des risques de dérive que je vois est une uniformisation des façons d'être, de faire et de penser et donc la disparition progressive de notre richesse et diversité culturelle. Par exemple, avec la numérisation et l'impression 3D, n'allons-nous pas tendre vers une disparition des métiers de l'Artisanat et de leur savoir-faire? Nous retrouvons également cette uniformisation dans notre consommation : fast food, uniformisation des critères de beauté et chirurgie esthétique, etc. Et je ne me lance pas ici dans le débat passionnant de la "planétarisation" qui suggère une mutation anthropo-technologique de l'homme vers une nouvelle espèce post-humaine. ;)
2.3.3. Impacts culturels
Le progrès technique a contribué de façon évidente à l'ouverture des frontières entre les pays et a facilité l'accès aux éléments culturels de pays très éloignés. L'un des risques de dérive que je vois est une uniformisation des façons d'être, de faire et de penser et donc la disparition progressive de notre richesse et diversité culturelle. Par exemple, avec la numérisation et l'impression 3D, n'allons-nous pas tendre vers une disparition des métiers de l'Artisanat et de leur savoir-faire? Nous retrouvons également cette uniformisation dans notre consommation : fast food, uniformisation des critères de beauté et chirurgie esthétique, etc. Et je ne me lance pas ici dans le débat passionnant de la "planétarisation" qui suggère une mutation anthropo-technologique de l'homme vers une nouvelle espèce post-humaine. ;)
3.
La seule alternative : le Développement durable
Est-ce
que cela signifie que nous devons tout stopper net ? Bien sûr
que non. Les progrès techniques ont permis d'améliorer
considérablement les conditions de vie. Sans pour autant s'inscrire dans un mouvement écologiste, je pense qu'ils doivent suivre une logique de développement durable pour être bénéfiques, à
savoir un développement qui répond aux besoins actuels sans
compromettre ceux des générations futures d'un point de vue
écologique, social, économique et culturel.
Au
regard de l'écologie, ils doivent contribuer à préserver les
ressources naturelles à long terme et au minima limiter les impacts
environnementaux : travailler sur la régulation production et
de la consommation énergétique, sur l'émergence de nouvelles
hautes technologies moins consommatrices en ressources, sur la
recherche de nouvelles sources d'énergie non polluantes et
renouvelables, sur le recyclage, favoriser les transports collectifs,
etc.
Sous
un œil socio-culturel, ils doivent favoriser l'équité sociale en
limitant les inégalités entre les individus dans le respect des
individus et des cultures : l'impact sur les emplois, sur le
respect de la vie privée et l'éthique. Par ailleurs, l'émergence d'une culture "commune" doit enrichir le partage et la diversité culturelle et non devenir une culture de "masse" appauvrie par l'uniformisation.
Enfin
d'un point de vue économique, ils doivent s'intégrer dans une
gestion économique saine et durable en respectant les autres
piliers susmentionnés.
Pour
cela, nous devons élargir notre vision locale et adopter une vision
systémique. Les autorités publiques et les entreprises ont bien
évidemment des responsabilités dans la tenue des enjeux du
développement durable, tout comme chacun d'entre nous devons y
contribuer.
Conclusion
Les
progrès techniques sont inévitables car ils répondent à des
besoins fondamentaux de l'humanité et à une soif de connaissances
illimitée. Ils ont permis d'améliorer considérablement nos
conditions de vies et ont un bilan globalement positif. Mais ils
comportent également des risques que nous devons essayer
d'identifier et pour lesquels nous devons déterminer des plans
d'actions. Notre plus gros risque est de sous-estimer la complexité
de notre société moderne et l'effet d'accélération. D'où la
nécessité de ne pas vouloir aller trop vite. Pour être bénéfiques
ces progrès techniques doivent s'inscrire dans une démarche de
développement durable : répondre aux besoins actuels en
préservant les chances pour nos descendants selon les 4 piliers :
environnemental, social, économique et culturel.
-- Agnès Vugier
Mon coeur s'accélère,
Pluie, Lumière,Vent, Neige,
Tous m'échappent, trop vite.
-- Agnès Vugier
Mon coeur s'accélère,
Pluie, Lumière,Vent, Neige,
Tous m'échappent, trop vite.
Je suis agréablement surpris par cette analyse qui fait un excellent tour d'horizon de notre devenir dans un monde hyper technologique.
RépondreSupprimerJe voudrais mentionner qu'habituellement le développement durable est défini avec les seuls trois piliers que sont l'environnement, l'économie et le social. La composante culturelle est prometteuse, mais reste sans doute à théoriser.
J'abonde dans le sens d'un ralentissement, vers un monde plus réfléchi, qui cesse de courir après les mirages des progrès techniques mal maîtrisés.
Le développement durable est sans doute le bon moyen de retrouver un peu d'équilibre dans un monde que nous n'avons cessé de bouleverser et de perturber depuis le début de l'ère industrielle, dans un aveuglement total qui nous conduit à mettre en péril notre écosystème et sa biodiversité.
Oui au progrès technologique, mais à un progrès maîtrisé et réfléchi. L'éco conception doit entrer dans les laboratoires de R&D et s'inspirer de la nature plus que jamais, celle là même qui donne l'exemple d'un recyclage à l'infini jusqu'au moindre de ses déchets, et d'un système au combien complexe et pourtant en équilibre.
Merci Cyril pour tes retours. Pour la composante culturelle, j'ai rajouté une nouvelle petite section. :)
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