Au cours de mon
parcours professionnel, j'ai eu de nombreuses occasions de me poser
cette question : pourquoi le changement est difficile ?
Cette question est omniprésente avec l'accélération numérique. En
tant que responsable de développement CRM/Portail, je la vis au
quotidien. Je suis intimement convaincue de la nécessité de
l'agilité, de positionner le client au centre du dispositif de
réalisation afin d'apporter de la réactivité aux demandes
exprimées par ce dernier et de s'assurer que les livrables finaux
sont en adéquation avec les attentes du métier, afin d'éviter ce
que l'on appelle « l'effet tunnel ». Cependant, dans les
faits, cette vision n'est pas forcément partagée et son exécution
complexe dans les grandes entreprises. J'y reviendrai par la suite.
D'où mon envie de creuser un peu plus ce sujet. L’objectif est de
comprendre pourquoi certaines grandes entreprises ont du mal à
aborder leur transformation digitale et à intégrer ces nouvelles
méthodes de travail. Ce billet a pour but d'en analyser les causes
profondes, les solutions seront développées davantage dans un
prochain billet. Il s 'agit de mon premier billet, je vous
demanderais donc un peu d'indulgence. :-)
Un SI à
l’image de son entreprise :
De la même manière que la stratigraphie,
l'analyse du SI est révélatrice de la complexité de
l'organisation, des processus métiers et de la manière dont s'est
construite une entreprise.
- Autour d'un savoir-faire : un SI au service d’un métier – « une profession spécifique exigeant apprentissage, expérience, et entrant dans un cadre légal ».
- Construit en couches hétérogènes en fonction de l’apprentissage des métiers et l'évolution de l'entreprise pour répondre aux nouveaux besoins.
- Un agglomérat d’applications développées dans les antennes locales et reprises au fur et à mesure en central pour les entreprises qui sont passées d’une organisation distribuée à une organisation centralisée.
- Au final, un SI spaghetti complexe avec des connexions point à point entre les applications, des redondances dans les données et les fonctions, des codes complexes et spécifiques devenus difficiles à maintenir, synchroniser et exploiter.
- Cette complexité et hétérogénéité sont d’autant plus importantes dans les organisations internationales où chaque branche possède sa propre culture organisationnelle et son propre SI.
L'évolution
face au poids de l'existant :
Nous prenons
souvent comme référence les entreprises GAFA ou les startups comme
modèle d’entreprises 3.0 mais faut-il rappeler qu’ils sont les
natifs du marché du numérique et qu’ils n’ont pas à gérer le
poids de cet existant. Chez les entreprises GAFA, la transformation
numérique constitue un changement continu alors que dans les
anciennes grandes institutions, elle nécessite une vraie rupture
voire une conduite de changement psychosociologique complexe. Il
touche la stratégie de l’entreprise, son organisation, les
processus métiers, sa performance, ses individus et « acquis
sociaux ». Cependant, dans la pratique, cette rupture ne peut
pas se faire de manière brutale pour être menée à bien et
nécessite des étapes transitoires qui se doivent stables afin de
limiter les périodes d'incertitudes qui pourraient amener tout
simplement à l’abandon du projet.
De même,
l’agilité et la flexibilité du SI doit passer avant tout par sa
rationalisation, sa simplification et sa modernisation, chantiers que
certaines grandes entreprises n’ont pas su anticiper et qui
prennent énormément de temps et d'argent en terme de réalisation.
A la peur
du changement : la préparation et l'accompagnement
Le changement,
changer sa façon de travailler, sortir de sa zone de confort fait
peur et la résistance au changement existe bien. Parfois, elle est
justifiée car certains mots comme « optimisation »,
« mutualisation », « robotisation »,
« numérisation » s’accompagneront irrémédiablement
de réduction de postes. Où certains verront un service amélioré
pour le client ou une avancée technologique, d'autres verront - à
juste titre - un impact direct sur leur emploi. Dans la méthode
agile, où certains verront un gain d'efficacité en mettant en
relation direct ceux qui expriment le besoin et ceux qui développent,
d'autres verront la suppression de leurs postes de MOA/AMOA ou une
réduction de leur périmètre. Mais pourquoi devons-nous évoluer
alors que cela fonctionne comme tel ? « Ce n’est pas le
changement qui fait peur aux gens, mais l’idée qu’ils s’en
font ». Certains ne verront pas l'intérêt général mais leur
intérêt en particulier et c'est humain. C'est pourquoi ce
changement doit être préparé et accompagné en informant, en
faisant participer, en communiquant, en formant
et en accompagnant les réaffectations/mobilités/reconversions
professionnelles si nécessaire et au possible.
D'ailleurs, cet
accompagnement ne s'arrête pas qu'aux portes des entreprises. Nos
têtes pensantes ont également un rôle essentiel, un devoir je
dirais même, dans l'anticipation de
ces changements profonds, de structurer l'éducation afin de préparer
au mieux les générations futures aux nouvelles méthodes de
travail, aux nouvelles technologies, à s'adapter tout simplement aux
nouvelles conditions, de les orienter vers les bons cursus – ceux
qui ont de l'avenir. Combien de
personnes de ma génération ont fait des études de chimie,
d'automatisme ou d'électronique pour se retrouver au final à faire
de l'informatique ? L'accompagnement se fait également dans les
reconversions professionnelles. L'ère du numérique s 'accompagnera
de suppression de certains types de postes et la création de
nouvelles opportunités. L'importance est dans l'anticipation et
savoir préparer les acteurs et les orienter vers les bonnes
directions. Nous vivons le recul de l'âge de départ en retraite
mais qu'est-il réellement fait pour l'emploi des seniors ? Il y
a là aussi une conduite du changement à gérer.
D’une
stratégie globale à son application sur le terrain : nécessité
d'objectifs communs et de synchronisation
Qui n’a pas
vécu une réorganisation globale ? Elle touche toutes les
activités et les unités de l’organisation et s’accompagne d’un
changement stratégique. Elle commence par la direction et la
définition des axes stratégiques (l'attendu) puis se déclinent
dans les différentes directions, départements, services. Entre
l'annonce de la réorganisation et son application opérationnelle,
des mois peuvent se passer car tout reste à écrire. Cette période
peut sembler très longue et douloureuse pour les collaborateurs car
elle reste une période d'incertitude.
Le plus souvent,
les directions, départements et services déclinent ces axes
stratégiques en fonction de leurs contextes, contraintes et
objectifs propres sans prendre en considération la dimension
systémique et transverse. Et là est l'un des grands challenges des
grandes entreprises : la synchronisation. Comment faire bouger
des milliers ou dizaine de milliers d'individus comme un seul ?
D'autant plus si les objectifs fixés pour chacune des directions,
départements sont différents. Certains seront objectivés par les
coûts d'exploitation, d'autres par la mise en service en temps et en
heure de projets structurants, par la mise en place de l'agilité,
par l'adéquation de la solution par rapport aux besoins clients,
etc. Cette synchronisation est essentielle à la transformation
numérique et un point clé de l'entreprise 3.0. Et pourtant, plus
l'organisation de l'entreprise est complexe et stratifiée, plus
cette synchronisation est difficile. C'est ce que l'on observe dans
les grandes entreprises.
L'agilité fait
partie intégrante de la stratégie d'un grand nombre d'entreprises.
Pourtant, son exécution est complexe sur le terrain. Pourquoi ?
Il y a bien sûr la peur du changement. Mais le point essentiel est
dans la synchronisation des différents acteurs, synchronisation qui
commence dès la définition
d'objectifs communs. Pour mettre en
place une vraie méthode agile, une équipe de développement ne peut
pas opérer seule. Elle a besoin de la collaboration
et de l'appui des autres acteurs de
la chaîne et doit prendre en compte le contexte global. Bien sûr,
elle peut mettre en place des daily meetings, des POC, des tests
automatisés, de l'intégration continue, du déploiement automatisé.
Mais l'ouvrage reste incomplet car l'agilité nécessite de se
centrer autour du client et doit être apportée à l'ensemble de la
chaîne de production y compris dans les tâches pour lesquelles
l'équipe de développement est dépendante d'autres entités. Pour
pouvoir faire du « customer centric », il faut déjà
avoir une direction cliente organisée pour et établir une relation
de confiance. De la même façon,
les possibles frictions entre équipe de développement et équipe
d'exploitation résident dans le fait qu'ils n'ont pas les mêmes
priorités : une usine de développement qui se doit agile pour
répondre de manière réactive aux demandes d'évolutions métiers
en décalage face à des processus d'exploitation lourds et longs
visant à assurer la stabilité et l'exploitabilité du produit tout
en réduisant les coûts (=> devops). Tout
réside donc dans la façon de travailler ensemble, voir de quelle
manière intégrer ou anticiper les contraintes de l'autre, de se
synchroniser. Et le rôle de la direction est de s'assurer que les
différentes entités partagent bien des objectifs d'entreprise
communs.
D’un
changement global à la conduite de changement individuelle : les
managers vecteurs du changement
Lors d'une visite
d'une antenne d'une entreprise, le responsable m'a remonté ses
difficultés à amener son équipe à utiliser les nouvelles
applications informatiques et à changer leurs méthodes de travail.
En passant du temps avec les opérationnels, je me suis rendue compte
du gap entre la stratégie et l'exécution : les opérationnels
devaient jongler entre différentes activités en se basant sur des
applications buggées, hétérogènes sans liaison entre elles, des
processus loin d'être fluides. Ils avaient été avertis une semaine
auparavant par mail que l'une des applications allait être remplacée
et avaient reçu un manuel d'une cinquantaine de pages qu'ils
devaient lire en guise de formation. Je ne dis pas qu'il n'y a pas
une certaine résistance au changement. Mais je ne peux que confirmer
que le changement est difficile dans ces conditions. Je le répète,
tout changement doit être accompagné. C'est le rôle du manager de
faire l'intermédiaire, d'informer, de communiquer, d'écouter, de
comprendre et de remonter ces difficultés et ces dysfonctionnements.
Malheureusement, de nombreux managers ne sont simplement pas préparés
à cela. Dans les organisations classiques, ce
changement passe avant tout par la préparation et la formation des
managers.
Ce sont les vecteurs du changement.
Conclusion :
Le poids de
l'existant est une cause majeure de la difficulté des grandes
institutions à aborder leur transformation digitale ; ces
entreprises se sont construites autour d'un savoir-faire et ont
évolué en fonction des besoins plutôt par extension et en
complexifiant que de façon disruptive et en simplifiant. Il est
nécessaire de prendre en compte cet existant dans la transformation
numérique et cela prendra du temps.
Par ailleurs,
comme tout changement, la transformation numérique génère de la
peur. C'est pour cette raison qu'elle doit être accompagnée, elle
doit prendre en compte les vrais retours du terrain et réajuster
l'accompagnement si nécessaire. Le rôle des managers est
primordial, ils sont les vecteurs du changement et doivent être
préparés et formés pour cela.
Cette
transformation numérique nécessite également collaboration et
synchronisation entre les différents acteurs, que l'on retrouvera
sous le terme d'holomorphisme dans certains beaux ouvrages dédiés à
l'entreprise 3.0.
-- Agnès Vugier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire