samedi 21 novembre 2015

Capitalisme collaboratif



Capitalisme collaboratif



Introduction

L'écriture de ce billet, comme tous les autres, est motivé par mon désir de comprendre le monde dans lequel nous vivons, de pouvoir l'appréhender sous les différents angles : anthropologique, politico-économique, environnemental et technologique. Comprendre notre société, c'est accepter sa complexité, faire preuve d'humilité quant à notre ignorance face aux interactions entre la multitude d'éléments qui la composent et nous empêchent d'en prévoir finement les rétroactions. C'est aussi s'avouer notre incapacité à prédire de façon certaine la manière vers laquelle elle évoluera. Et c'est justement pour cette raison que nous devons être prudents et essayer de mesurer les impacts de chacune de nos actions sur notre écosystème. Cette réflexion systémique est nécessaire car tous ces domaines sont étroitement liés.

J'ai choisi d'écrire une suite à mon billet sur l'Economie collaborative car ce sujet me passionne ; c'est une des multiples facettes de notre société et de ses préoccupations, un concentré d'innovations technologiques et une occasion de se projeter dans le futur en essayant de trouver des solutions aux maux de notre société actuelle.
Par ailleurs, j'ai été inspirée par ma dernière lecture du livre « La nouvelle société du coût marginal zéro » de Jeremy Rifkin mais aussi motivée d'en approfondir l'analyse critique. Dans son livre, Rifkin expose sa vision sur l'irruption de nouvelles technologies qui nous propulsent vers une société de coût marginal quasi nul, le déclin du capitalisme pour l'émergence d'un nouveau paradigme d'économie de partage synonyme pour lui d'économie d'abondance.
Effectivement, l'expansion de plates-formes collaboratives (Airbnb, Uberpop, Blablacar, Alibaba, etc.), le nombre de particuliers abonnés à ces services et d'autres signes comme le développement de l'esprit d'entrepreneuriat ou la volonté de tendre vers des organisations plus horizontales confirment l'émergence de cette économie collaborative.

Cependant, est-ce que cela signifie pour autant que nous allons tendre vers le déclin du capitalisme? Est-ce que l'économie collaborative est le paradigme vers lequel nous nous dirigeons? Est-elle plus légitime que le capitalisme? Faut-il les opposer? Quelles sont les autres alternatives? Tout d'abord, je vous propose de synthétiser la vision de Rifkin, j'expliquerai ensuite en quoi ce changement de paradigme est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît ainsi que les impacts que je vois. Enfin, je partagerai ma vision de la société du futur.


1. Vers une nouvelle société du coût marginal zéro et des communaux collaboratifs selon Rifkin

Pour Rifkin, les nouvelles technologies vont permettre d'améliorer la productivité et ainsi réduire les prix des biens et des services jusqu'à un coût marginal « quasi nul », diminuant considérablement les marges de profits et donc la « sève qui fait vivre le capitalisme ».
Les exemples qu'il fournit pour appuyer ce scénario sont nombreux : livre numérique, musique en ligne, téléphonie mobile, énergie renouvelable, fabrication par impression 3D, MOOC, les millions de prosommateurs (producteurs-consommateurs) qui peuvent partager leurs biens et leurs services entre eux autour de plates-formes collaboratives, etc. Selon ses propos, de nombreux secteurs tendront vers ce nouveau modèle et le marché capitaliste devra se replier sans cesse sur des niches toujours plus étroites. Il estime qu'en 2050, les communaux collaboratifs auront pris l'ascendant laissant place à un capitalisme de plus en plus mince mais efficace surtout en proposant des agrégats de services et des solutions réseaux. Cette nouvelle ère qu'il envisage serait caractérisée par l'abondance de biens et de services pratiquement gratuits où l'humanité serait affranchie de la misère.

Il conçoit une société où la production serait locale et décentralisée : la démocratisation de l'impression 3D permettrait à n'importe qui de devenir prosommateur, de fabriquer ses propres produits à un coût marginal quasi nul pour les consommer ou les distribuer à une base mondiale de consommateurs via une infrastructure distribuée Internet des objets. L'impression 3D insérée dans une infrastructure Internet des objets serait donc le nouveau relais d'efficacité et de productivité de la société du futur.

Pour lui, nous nous dirigeons d'une « production de masse vers une production par les masses ». L'expansion de petites sources d'énergies vertes locales, éoliennes ou solaires, permettrait la production décentralisée et l'accessibilité de l'énergie quasi gratuite par tous via un Internet des énergies.

Dans cette société qu'il décrit, les « fablabs » répartis dans les localités seraient les « laboratoires de recherche et développement du peuple » et les MOOC le moyen de préparer les nouvelles générations à ce nouveau paradigme.


2. Système complexe et changement de paradigme

Difficile d'appréhender le futur et la manière dont va tendre notre société. Oui, peut-être que Rifkin a raison et que nous nous orienterons vers des communaux collaboratifs et le déclin du capitalisme. Tout est possible et je ne sais pas prédire les cygnes noirs.

Cependant, j'estime que le changement de paradigme est beaucoup moins évident et beaucoup plus complexe qu'il ne l'expose dans son livre pour les raisons que je vais développer dans les chapitres suivants.

2.1. Mondialisation et pouvoirs dominants en place
Tout d'abord, je pense que la mondialisation et les pouvoirs dominants en place rendent complexe ce changement de paradigme.

Contrairement à la première révolution industrielle qui a vu l’émergence du capitalisme, le contexte économique et politique actuel est international. La crise des « subprimes » et ses impacts collatéraux mondiaux illustrent concrètement le système complexe dans lequel nous vivons.
De la même manière que la réduction de l’empreinte écologique doit être gérée de façon mondiale, la construction d’un nouveau système économique durable ne peut se faire sans coopération et gouvernance économique internationale, consentement des principaux membres représentant les échanges commerciaux dans le monde (US, Europe, BRICS, etc.) mais également des pays en voie de développement. Cela passe également par une compréhension des systèmes politiques de chaque pays – et le rapport de force des partis dominants - qui influera forcément sur les orientations en matière de modèle économique - comme par exemple la volonté des partis dirigeants de conserver leurs pouvoirs face à l'occidentalisation économique et la montée de l'individualisme dans les grands pays comme la Chine et la Russie.

Par ailleurs, il est difficile d'imaginer de quelle manière vont interagir et cohabiter les différents communaux collaboratifs dans une société sans Etat et sans autorité centrale. Par quelles lois communes seront-ils régis? Dans un système complexe, plus le nombre d'entités augmente, plus la gestion des interactions entre ces différentes entités est difficile. Les difficultés que nous rencontrons pour trouver un consensus au sein de la communauté européenne et pour établir une gouvernance économique internationale me font penser que ce changement de paradigme prendra du temps, beaucoup de temps s’il s’opère.

Enfin, cette économie d'abondance ne doit pas devenir une économie de surabondance et de surconsommation où tout prosommateur produirait à tout va sans mesure et régulation avec les effets néfastes que cela pourrait induire sur l'écologie. Et bien sûr, d'autres questions comme la surpopulation se pose également.

2.2. Domination et rapport de force des géants
Ensuite, il ne faut pas négliger la mainmise monopolistique et le rapport de force des géants des différents secteurs économiques car ils ne se laisseront pas faire.

Certains grandes entreprises et actionnaires puissants dominent déjà leurs marchés (ex. : GAFA). Quels sont les nouveaux acteurs qui parviendront à briser cette mainmise? Mêmes si les startups sont disruptives, elles doivent atteindre une masse critique pour assurer leur bon fonctionnement et ont du mal à faire le poids face aux géants qui ont les moyens de les financer voire de les racheter, et d'investir dans les nouvelles technologies. Il me semble très peu probable que ces géants se laisseront voler la vedette.
Comble du comble, les plates-formes collaboratives actuelles (Airbnb, Uberpop, etc.) sont majoritairement centralisées et monopolistes et imposent également leur mode de fonctionnement.

2.3. Les réseaux distribués : une alternative aux plates-formes monopolistes?
Même dans le fonctionnement par réseaux distribués, nous retrouvons les traits du capitalisme.

Certains parlent déjà d'une nouvelle génération de plate-forme qui reposerait sur une logique décentralisée comme alternative aux plates-formes monopolistes. Cette nouvelle génération de réseau distribué reposerait sur la technologie algorithmique du blockchain . Cette technologie se base sur un livre comptable de transactions qui est répliqué sur toutes les machines des utilisateurs qui garantit que cette transaction a bien eu lieu. Le système est donc « pair à pair » car chaque ordinateur est à la fois client et serveur et permet de s'affranchir d'une autorité centrale. Les transactions sont enregistrées après avoir été validées par chaque nœud du réseau. La résolution de la preuve qui se base sur un système cryptographique nécessite une puissance de calcul informatique élevée fournies par les « mineurs », entités dont la fonction est d'alimenter le réseau en puissance de calcul.
Certaines startups intègrent déjà cette technologie dans leurs services et incitent les premiers utilisateurs à rejoindre la plate-forme en les récompensant avec des « tokens » de manière à créer une masse critique suffisante pour assurer le fonctionnement de cette dernière.
Comme d'autres grandes entreprises, IBM développe l'idée d'utiliser le blockchain pour répondre aux enjeux de l'Internet des objets.

Je pense que ces échanges entre particuliers via les plates-formes collaboratives restent des transactions marchandes et que cette gestion par « token » n’est qu’une nouvelle forme de monnaie comme objet permettant les échanges et la valorisation de biens.
Je vois également des risques dans ce principe de tiers de confiance décentralisé. D'une part, la contractualisation des échanges, la gestion des litiges et des contentieux, la réversibilité des transactions ne me semblent pas assurés en l’absence d’autorité régulatrice et de supervision centralisées. D'autre part, le risque de piratage existe comme pour tout système informatique.

Enfin, dans cette infrastructure qui se veut décentralisée, les mineurs ont finalement une fonction centrale. Fournir de la puissance de calcul a un coût qui nécessite des investissements donc un capital(isme). Cette organisation ne peut pas se baser sur du bénévolat et nécessite une rétribution pour continuer à maintenir et faire évoluer cette puissance de calcul.

2.4. Nouvelles technologies nécessitant des investissements et du capital
Par ailleurs, les recherches et développements autour des nouvelles technologies appelleront toujours à des gros investissements privés ou publics et donc du capital(isme).

Rifkin explique que l'atteinte d'une société à coût marginal zéro est permise par les grandes compagnies à intégration verticale qui ont su réduire leurs coûts de transactions et augmenter leur productivité notamment en investissant sur des nouvelles technologies et en introduisant de nouvelles sources d'efficacité de grande ampleur. Ils ont ainsi réalisé des économies d'échelle qui ont réduit les coûts marginaux. Ces mêmes grandes entreprises capitalistes dont il annonce la réduction.

Si je raisonne par l'absurde et que je prends l'hypothèse que nous allons bien tendre vers la société qu'il décrit, de quelle manière allons-nous maintenir ce coût marginal à zéro dans une société où les grandes entreprises capitalistes seront minoritaires et sans autorité régulatrice? De quelle manière allons-nous continuer à investir dans les nouvelles technologies et nouvelles sources d'efficacité  sans capital financier?

Les infrastructures lourdes, l'infrastructure distribuée Internet des objets sur laquelle doit se baser cette nouvelle économie de partage induiront des coûts d'achat, de renouvellement, d'exploitation et de maintenance qu'il faudra bien porter.

Enfin, je pense que les prosommateurs ne peuvent répondre qu'à une production locale et à petite échelle. Par exemple, les prosommateurs ne pourront produire et stocker de l'énergie que pour le propre consommation. Passer à une grande échelle impliquera de plus importantes infrastructures de production, de stockage d'acheminement ou de distribution de l'énergie qui nécessiteront des investissements importants.

2.5. Rarification des matières premières et coût d'achat non nul
Pour ma part, la rareté de certaines matières premières et la répartition géographique inégale des ressources naturelles ne permettront pas d'obtenir un coût marginal « quasi nul ».

Afin de déterminer le prix de vente, l'entreprise doit prendre en compte le coût de revient complet d'un produit à savoir le coût d'achat, le coût de production et le coût hors production. A moins de vendre à perte, un coût marginal quasi nul signifie que ces trois coûts soient quasi nuls. Or, le coût d'achat de certaines matières premières est loin d'être nul du fait de leur rareté. Le prix des matières fluctuent en fonction de leur rareté et les réserves de ressources naturelles s'amenuisent plus vite qu'elles ne se renouvellent. Y compris les TIC impliquent des matériaux rares (cf. article les matériaux impliqués dans les TIC). Il est donc difficile d'envisager pour ces produits un coût marginal quasi nul. De même, les énergies vertes ont un coût non nul du fait de la rareté croissante des composants nécessaires aux capteurs solaires par exemple.

Par ailleurs, Rifkin prend l'hypothèse que les matériaux de base seront disponibles en abondance localement. Bien sûr, cette hypothèse n'est pas fondée dans la mesure où les matériaux de base ne sont pas disponibles en abondance et parce que la répartition géographique des matières premières est inégale dans le monde. Si les échanges de matériaux de base ne sont plus réalisés par l'achat / vente ou l'import / export, par quels moyens se feraient-ils? J'ai du mal à envisager une fourniture gratuite ou le retour au troc, d'autant plus que l'extraction, le transport et le stockage des matériaux peuvent être très coûteux.

2.6. Chômage technologique
Avec les nouvelles façons de travailler, les nouvelles technologies et l'amélioration de la productivité (automatisation, robotisation, etc.), la quantité de travail humain nécessaire à la production va également réduire – le chômage technologique selon Keynes. S'il n'y a pas de revenu, il n'y a pas de pouvoir d'achat et de consommation. Je me questionne donc sur la manière dont nous allons opérer la transition d'une situation de chômage technologique qui risque d'être massif vers une économie d'abondance.

2.7. Ecart entre idéologie et application
Mon opinion diverge également de celle de Rifkin sur la nécessité d'opposer le capitalisme et l'économie collaborative : « Entre ces deux paradigmes rivaux, la lutte va être longue et implacable ». Nous avons une fâcheuse tendance à vouloir opposer les idéologies (ex. : capitalisme vs communisme) et nos croyances alors que nous pourrions très bien envisager des buts communs à ces paradigmes, une synergie et un enrichissement mutuel.

Ainsi, je pense que Rifkin manque d'impartialité en voulant à tout prix diaboliser le capitalisme et idéaliser l'économie collaborative : « Si le marché capitaliste a pour fondement l'intérêt personnel et pour moteur le gain matériel, les communaux sociaux sont motivés par des intérêts collaboratifs et dynamisés par un désir profond de relation avec les autres et de partage. Tandis que le premier promeut les droits de propriété, le principe caveat emptor (« c'est l'acheteur de faire attention ») et la quête de l'autonomie, les seconds privilégient l'innovation en source ouverte, la transparence et la recherche de la communauté. »

Sur le papier, cette société de partage et d'abondance, où chacun pourrait accéder quasi gratuitement à l'énergie renouvelable, aux biens et services, s'improviser producteur, consommer et partager ce qu'il produit, est fort attractive. Mais comme toute idéologie, elle offre une vision idyllique d'un nouveau monde, un projet d'avenir visant le bien-être collectif. Et c'est d'autant plus efficace dans une période où notre société connaît de grands bouleversements dans tous les domaines : technologique (transformation numérique, robotisation, automatisation, multitude), socio-économique (inégalités, précarité, pauvreté, chômage), politique (conflits géopolitiques) et environnemental (pollution, changement climatique).

Dans son sens d'origine, le communisme est une forme d'organisation sociale sans classes, sans État et sans monnaie, où les biens matériels sont partagés. Pourtant l'histoire a montré ses dérives dans son application et surtout la manière dont certains individus l'ont imposé et l'ont détourné pour des ambitions individuelles. De la même manière, chaque religion porte en elle des principes de biens mais la manière dont certains hommes la détourne et l'impose amène à la violence et aux crimes pourtant contraires au fondement même de ces religions. Il est donc important que cette lutte de paradigme ne devienne pas une nouvelle « lutte de classes », un nouvel objet de propagande ou un autre « Grand bond en avant ».


3. Vers un capitalisme collaboratif

3.1. La société du futur est celle du développement durable
Ma société du futur s'inscrit dans le cadre du développement durable.

Je crois beaucoup à l'écoconception, l'infofabrication additive, des procédés de production qui s'inscrivent dans le cadre d'une économie circulaire. Nous devons davantage développer l'écoconception, à savoir une conception des produits plus respectueuse de l'environnement en optimisant le volume de matériaux employés, en diminuant le recours aux ressources rares ou polluantes et en pensant sa durée de vie et sa recyclabilité dès sa conception.

Je pense aussi que l'impression 3D, l'Internet des objets et les smart cities vont avoir une place importante dans les prochaines décennies et je crois aux bienfaits des nouvelles technologies si nous les utilisons de façon réfléchie et à bon escient pour le bien de l'humanité.
De façon concrète, l'application de l'Internet des objets à l'environnemental peut être un grand allié dans la gestion des écosystèmes de notre planète : capteurs pour mesurer tout changement dans notre écosystème comme le niveau de pollution, mesurer et suivre en temps réel notre consommation énergétique, limiter la consommation d'eau en fonction des conditions météorologiques et de l'humidité du sol, etc. Je me pose quand même la question des déchets que pourront laisser tous ces capteurs et objets connectés dans la nature à long terme. Dans cette ère de la multitude, ces kits connectés vont probablement se multiplier et le volume de déchets polluants avec eux si nous ne pensons pas écoconception.

Je suis également persuadée que la production locale d'énergies vertes est un bon moyen de compléter la production en masse : elle permet d'une part de réduire notre empreinte écologique et également de permettre de simplifier l'accès à l'énergie dans les zones les plus pauvres et retranchées du monde. Le développement des « kits solaires » en Afrique en est un bon exemple.

De mon point de vue, le MOOC est un bon moyen de permettre l'accès à la connaissance et la formation pour tous. Cependant, je crois nécessaire de conserver des lieux physiques de sociabilité et de socialisation dont les infrastructures scolaires : lieux d'échanges et aussi d'apprentissage des normes et valeurs d'une société ou d'une collectivité.

3.2. Une économie mi-marché mi-communal
Je pense que le capitalisme et l'économie de partage sont complémentaires et qu'ils doivent tirer parti de l'autre.

Nous voyons déjà émerger une économie hybride, mi-marché mi-communal : le marché capitaliste que nous connaissons et l'émergence de l'économie collaborative que je traite dans mon dernier billet sur l'Economie collaborative.

Je crois que la société capitaliste a le potentiel de s'inscrire dans un développement durable. Les valeurs de partage, d'égalité, de respect de l'humanité et de l'environnement dans lequel nous vivons ne sont pas l'apanage d'une économie particulière.

D'un point de vue environnemental , la prise de conscience mondiale de l'urgence écologique a eu lieu. Effectivement, les investissements mondiaux dans les énergies vertes ont atteint 250 milliards d'euros en 2014 avec en tête la Chine avec plus de 77 milliards d'euros d'investissement en 2014. (cf. article Energies renouvelables : les investissements repartent à la hausse).
Je pense que le capitalisme a pour avantage de permettre la concentration de gros capitaux sans lesquels ces énormes investissements dans les nouvelles technologies, les nouveaux procédés d'économie circulaire seraient difficiles.

Par ailleurs, les initiatives COP21 et G20 reflètent bien la volonté d'une concertation internationale et d'un dialogue élargi entre les différents pays du monde voire un renforcement de la gouvernance mondiale pour avancer sur les politiques clés en matière d'accord climatique, sur les nouveaux objectifs de développement durable et de croissance économique.

De même, de nombreux grands groupes (ERDF, EDF, RATP, SNCF, Colas…) sont engagés dans la mise en place de solutions plus écologiques afin de réduire l'empreinte carbone. C'est par la communication et la sensibilisation que ces préoccupations deviendront des réflexes et des valeurs complètement intégrés dans chaque entreprise et chaque individu. Des programmes comme « Watty à l'école » sont un bon moyen de sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge à l'économie d'énergie.

J'estime que le capitalisme peut trouver un équilibre vers plus de social et de collectif en permettant à chaque citoyen du monde :
- De répondre à ses besoins vitaux : nutrition correcte, accès à l'eau potable, aux services de santé.
- De vivre dans de bonnes conditions : accès à un logement, à l'électricité, aux infrastructures de communication, etc.
- D'accéder à l'éducation.
- D'accéder à des conditions de travail justes et favorables.

Je pense que la politique sociale de la France est un bon système et intègre ces valeurs. Mais pour qu'il reste viable, nous devons davantage contrôler les abus et réduire les dépenses publiques – supprimer les dépenses inutiles ou historiques pour se concentrer sur celles vraiment nécessaires. Bien sûr, c'est un travail difficile et impopulaire mais le risque que ce système social s'effondre est beaucoup plus grand si nous ne faisons rien.

Cela se traduit par les politiques sociales de chaque pays mais aussi des appels à investissements pour des grands projets comme l'amélioration de l'accès à l'eau potable dans les pays pauvres ou l'électrification de l'Afrique par exemple.

Les gouvernements, les grandes entreprises et grands actionnaires ont également un rôle important dans le réinvestissement des bénéfices afin de maintenir la croissance économique et dans la préservation des emplois.

La succession des gouvernements qui défont et refont ce qu'ont établi leurs prédécesseurs montre qu'il n'y a ni cohérence et ni continuité dans les politiques menées ni de volonté commune de se réunir pour un même but : le bien de notre société et de l'humanité quelles que soient nos opinions et nos idéologies politiques, en se concentrant sur le bien collectif avant l'intérêt personnel.
De même, les référendums devraient être plus fréquents sur les sujets structurants pour la société et l'humanité car ils sont la voix de la majorité et beaucoup plus représentatifs de l'opinion publique.
Cette cohésion nationale et cette solidarité mondiale existent. Elle est en chacun de nous.

3.3. Avant tout une question de transformation de la conscience humaine
Ces changements sont étroitement liés à la transformation de la conscience humaine. Le passage d'un système féodal vers un marché libre a surtout été motivé par la volonté de se libérer du servage, d'améliorer les conditions de vie et par des ambitions individuelles. Et cela en est de même pour la première révolution industrielle qui a vu l'émergence du capitalisme.

Pourquoi l’économie collaborative est-elle attractive? Je ne crois pas qu’il s’agisse - encore - d’un geste de solidarité ou collaboratif. A l’heure actuelle, les particuliers cherchent avant tout un complément de revenu et à diminuer leurs dépenses.

Je crois que les grands changements de paradigme ne sont pas uniquement liés aux révolutions technologiques de communication ou énergétique - il s'agit de conditions nécessaires mais pas suffisantes - et que le passage vers une vraie société à développement durable ne pourra pas s'opérer sans transformation de la conscience humaine, vers une « conscience biosphérique » qui étend notre empathie à notre monde, à toute l'humanité. C'est aller au-delà de l'intérêt individuel pour un bonheur collectif.


Conclusion

Rifkin propose une image intéressante de la manière dont évolue notre société : l'accélération technologique, le gain d'efficacité et de productivité, l'émergence d'une nouvelle forme d'économie de partage. Par contre, je pense que sa vision est trop idéologique et manque de neutralité : il sous-estime l'ancrage du capitalisme dans notre société, le rapport de force des pouvoirs dominants, des actionnaires puissants et des géants monopolistes et surestime les capacités naturelles de notre monde. Il idéalise l'économie de partage et ne montre pas les risques potentiels de cette nouvelle société à coût marginal quasi nul (surabondance, surconsommation, surpopulation, indisponibilité des matériaux de base, question de la régulation des communaux collaboratifs, etc.). Je crois aussi qu'aborder ce sujet comme une lutte des « collaboratistes » face aux capitalistes, c'est faire fausse route.

Je crois que notre société du futur doit surtout s'inscrire dans le cadre d'un développement durable, respectueux de notre humanité et de l'environnement dans lequel nous vivons.
Ce monde capitaliste peut être cette société du futur s'il s'inscrit dans cette dynamique.

Et la seule façon d'y accéder est la transformation de la conscience humaine, aller au-delà des ambitions individuelles pour le bien collectif.

Je finirais par une magnifique citation de Rifkin qui représente pour moi l'essence même de l'humanité :

« Quand nous éprouvons, vous et moi, de l'empathie pour un autre – qu'il s'agisse d'un humain ou de tout autre être vivant -, elle a la senteur de la mort finale qui l'attend et de la célébration de sa vie tant qu'elle existe. Quand je ressens ses joies, ses peines, ses espoirs et ses peurs, tout me rappelle constamment la précarité de nos vies. Avoir de l'empathie pour un autre, c'est reconnaître qu'il a une seule et unique vie, comme moi – comprendre que chacun de ses instants, comme les miens, sont irréversibles, qu'ils ne se répéteront pas, et que la vie est fragile, imparfaite et éprouvante, qu'il s'agisse du parcours d'un humain dans la civilisation ou d'un cerf dans les bois. Quand j'ai de l'empathie, je ressens la fragilité et la fugacité de l'existence d'un autre. Avoir de l'empathie, c'est soutenir l'autre pour qu'il s'épanouisse et vive pleinement son bref destin. La compassion est notre façon de célébrer mutuellement notre existence, de reconnaître ce qui nous lie, nous qui sommes compagnons de voyage sur cette Terre. » - Jeremy Rifkin, « La nouvelle société du coût marginal zéro ».



-- Agnès Vugier

dimanche 5 juillet 2015

Economie collaborative



Economie collaborative

Introduction

L'économie collaborative est très fréquemment remplacée par le néologisme « uberisation » en référence à l'entreprise Uber. Cette dernière a développé une plate-forme mobile de mise en relation d'usagers avec des chauffeurs VTC  et anime actuellement les débats autour de son service UberPOP. On utilise également ce néologisme pour définir le phénomène de « disruption destructrice » qui touche actuellement l'ensemble des industries. Je trouve ces définitions très réductrices. De la même manière que je trouve trop conservateur de déclarer que "Uber et Airbnb n'ont rien à voir avec l'économie de partage". Bien sûr, l'économie de partage recèle beaucoup plus de richesses. Mais je crois également que Uber et Airbnb constituent une nouvelle forme de l'économie collaborative, celle qui a émergé avec l'internetisation. Mais quelles sont les différentes facettes de l'économie de partage? De quelle manière a-t-elle évoluée? Comment expliquer cette déferlente?
Et vers quel genre de société pourrions-nous tendre? Ce sont toutes ces réflexions que je souhaiterais partager avec vous dans ce billet.

1. Qu'est-ce que l'économie collaborative ?

A l'origine, l'économie collaborative ou « pair-à-pair » est un groupe d'individus auto-organisés autour de la production et l'accès partagé de biens en commun. J'aurai pu m'en tenir à cette définition mais je ne vous aurai donné qu'une vision conservatrice et parcellaire de ce qu'est l'économie collaborative.

D'abord, elle s'est « dématérialisée » pour répondre à des besoins d'accéder à un service et non plus détenir un produit. Cette définition s'est donc étendue pour inclure d'autres notions comme la consommation ou la production collaboratives, le financement ou les modes de vie collaboratifs qui introduisent des usages comme l'échange, le troc, la vente, la location ou l'achat en commun. Les associations tontinières sont un bon exemple de financement collaboratif : un groupe de personnes constitue une association collective d'épargne, sur la base de vraies relations sociales et de confiance, afin de pouvoir aider chacun des membres ou investir dans des projets ou activités économiques décidés collectivement.

Ensuite, cette nouvelle forme d'économie de partage prend son essor dans les années 90 avec la démocratisation de l'internet, années marquées notamment par la création de la première plate-forme collaborative - dédiée à la vente aux enchères – eBay. Dès lors, nous assistons à la désintermédiation, la plate-forme de service devient l'outil unique d'intermédiation entre les différents acteurs de cette économie de partage même si elle ne constitue pas à proprement dit un bien en commun. Uber et Airbnb sont de bons ambassadeurs de l'effet de l'internetisation et de cette désintermédiation.

Enfin, l'explosion d'internet favorise l'expansion de ce phénomène à très grande échelle.

2. L'économie collaborative : le raz-de-marée

Depuis, les plate-formes collaboratives se multiplient : couchsurfing, covoiturage, crowfunding, DIY, etc. De nombreuses startups ont pu démarrer grâce à des levées de fonds sur internet.
Ce phénomène n'épargne aucun secteur d'activités :
  • le commerce avec des acteurs comme Priceminister ou Alibaba,
  • l'hôtellerie avec Airbnb,
  • le covoiturage avec Blablacar,
  • le secteur beauté avec Popmyday,
  • le secteur bancaire avec les plate-formes web de prêt et de paiement en ligne des FinTech,
  • les fablabs comme TechShop ou Shapeways (démocratisation de l'impression 3D) ou Custom Made,
  • l'énergie avec Mosaic une plate-forme de partage autour de l'énergie solaire ou Yeloha permettant de mettre en relation les consommateurs directement avec des producteurs d''électricité indépendants,
  • etc.
Selon moi, ils ont du succès car : ils simplifient et fluidifient l'expérience client, ils intègrent les utilisateurs finaux comme contributeurs à la création de valeur, ils tissent des liens directs avec les consommateurs, ils réinventent la relation entre consommateurs et producteurs, ils sont utilisateurs de leurs propres plate-formes collaboratives (ex. : Blablacar), ils offrent des services à coûts réduits du fait d'un plus faible coût de revient et bien sûr ont tous adopté une organisation agile et responsabilisante.

Ces nouvelles startups bousculent même les grands groupes comme Accor qui craignent de se faire « uberiser ». Pour prévenir une possible « uberisation » de leurs activités, il créent des i-lab à l'instar d'Air Liquide afin de définir de nouvelles opportunités de marchés, d'expérimenter de nouveaux modèles dans une démarche d'attaquant, de déterminer les éventuels concurrents et leurs impacts, de créer de la valeur pour l'entreprise. D'autres procèdent à des rachats (MisterGoodDeal par Darty), investissent dans des startups (SNCF avec OuiCar) ou s'en inspirent en adoptant par exemple des espaces de discussions en direct entre usagers sur leurs sites (click-to-community). Total s'est même lancé dans la vente en ligne avec fioulmarket.fr.

3. Symptômes d'une société en pleine mutation

L'expansion de ces plate-formes collaboratives n'est-elle finalement pas symptomatique d'une société en pleine mutation ?

Dans ce chapitre, je vous propose de revenir sur le cas de la profession de taxis car elle illustre bien la période de transition et de contradictions que nous vivons.

Afin de pouvoir exercer, les chauffeurs de taxis doivent disposer d'une licence. Cette licence est attribuée gratuitement mais la durée d'obtention pouvant atteindre une dizaine d'années du fait du rationnement du nombre de licences, les plus pressés l'achètent de gré à gré aux titulaires cédants, créant ainsi une fluctuation des cours en fonction de l'offre et de la demande. Le prix de cette licence a culminé à 240.000 euros en janvier 2013! Je trouve aberrant qu'on en soit arrivé à devoir payer pour une licence attribuée à la base gratuitement! C'est un prix très onéreux pour pouvoir être « autorisé à stationner » que certains chauffeurs de taxis mettront des années à rembourser!

L'arrivée des compagnies de Voiture de Transport avec Chauffeur (VTC), à l'instar d'Uber, a cassé le monopole des taxis. Mais au lieu de remettre en question l'ancien modèle, d'ouvrir la profession, de supprimer la limitation des licences voire d'annuler la rente des détenteurs actuels de licences, la réponse aux conflits a été de soumettre des règles aux VTC toutes aussi contraignantes (loi Thévenoud). C'est sûr, d'un premier abord, nous avons un sentiment de justice car chaque profession semble être sur un même pied d'égalité mais ne nous détournons-nous pas du vrai problème ? J'ai discuté avec de nombreux chauffeurs de taxis et beaucoup s'endettent pour pouvoir acheter cette licence. Ce modèle est-il encore adapté au nouveau contexte sociétal ? Le problème est bien qu'on essaye de faire du neuf avec du vieux ; on rajoute des surcouches de plus en plus difficiles à extriquer.

Bien plus disruptif et controversé, UberPOP permet à des particuliers de s'improviser conducteurs et de les mettre en contact de clients via une application mobile. Après avoir été qualifié illégal par le gouvernement, après les manifestations des taxis, les violences entre les taxis et les chauffeurs UberPOP, Uber a finalement décidé le 03 juillet 2015 de suspendre son service en France.

Autour d'UberPOP, la polémique rôde. D'un côté, certains la considèrent comme une source de création d'emplois, certains particuliers voient une opportunité de travailler ou de compléter leurs revenus dans une société où le plein emploi n'existe plus, nombre de clients retrouvent un service simplifié, efficace et moins cher. De l'autre côté, certains y voient une concurrence déloyale ou une activité non réglementée et illégale, source d'emplois précaires. En effet, ce service n'est agréé par aucune autorité, inscrit à aucun registre professionnel officiel et ne paie donc ni cotisations sociales, ni impôts. Et le conducteur n'a pas de carte ni d'assurance pour une activité de transporteur professionnel.

Je pense que les deux points de vues sont vrais, que ce « capitalisme de plate-forme » est inévitable et n'est qu'une première étape. Je pense qu'il faut la réguler au lieu d'essayer de la démanteler.

Pourquoi est-ce inévitable ? Parce que ces plate-formes de consommation se développent à grande vitesse (Uber, Autolib, Blablacar, etc.). Même les grandes entreprises commencent à investir dessus ou à réaliser des partenariats. Même si UberPOP a suspendu son service en France, d'autres vagues viendront perturber cette profession. Au mois de juin, BMW, Ford et GM ont annoncé un service d'auto-partage avec leurs véhicules. En France, la SNCF propose son service de covoiturage IDVroom et a investi dans une startup de location de voitures entre particuliers OuiCar.

Par ailleurs, je suis persuadée que nous assistons à l'émergence d'une société de travailleurs autonomes et indépendants et que ces plate-formes d'économie collaborative ne font qu'accentuer ce phénomène. La dématérialisation des espaces de travail fait déjà partie de notre quotidien. Le télétravail préfigure déjà cette évolution. Aux Etats-Unis, la plate-forme d'outsourcing Upwork réunit plus de 10 millions de spécialistes indépendants oeuvrant depuis le monde entier et 4 millions de clients.

Et je suis catégorique sur le fait qu'elle doit être réglementée pour éviter la précarité, y réintégrer le droit du travail, la protection sociale et juridique... et les fiscalités... Il faut donc la réguler suivant un nouveau modèle plus adapté à notre nouvelle société au lieu d'essayer de la dissoudre.

Mais ce n'est qu'un début car la révolution arrivera avec l'automatisation et la robotisation. C'est déjà une réalité comme par exemple dans les chaînes de production de l'industrie automobile ou bien avec l'automatisation des lignes de transport en commun. Dans le cas de la profession de taxis, cette rupture viendra avec les véhicules autonomes – substitution de l'homme par la machine – technologies que certaines entreprises comme Google et Uber expérimentent déjà.

Ces exemples illustrent bien une société en pleine mutation, mutation accélérée par la technologie. Je pense que nous sommes encore dans une phase de transition qui s'accompagne de contradictions car nous savons que cette transformation numérique est inévitable et qu'il faut la favoriser question de survie – initiative French Tech créée par le gouvernement fin 2013 par exemple. Mais d'un autre côté, nous la freinons car nous n'arrivons pas à maîtriser ses impacts et parce que se mettre dans une posture de changement n'est pas simple. Nous devons sortir de notre état de statisme, étudier de quelle manière intégrer ce nouveau modèle économique, repenser le travail de demain et éduquer pour préparer à ces nouveaux emplois.

4. Vers une société collaborative et une consommation durable ?

Mais comment s'explique cet engouement pour cette économie de partage ?

D'un premier abord, elle est motivée par des besoins individuels :
  • Pour certains, elle est source d'emplois ou permet d'arrondir les fins de mois.
  • C'est un moyen d'optimiser son pouvoir d'achat en période de crise.
  • Certains consommateurs y trouve plus de praticité, de flexibilité, d'innovations et d'expériences nouvelles.
  • D'autres la voient comme une alternative au système marchand conventionnel qui ne répond pas à leurs besoins.
Mais en creusant davantage, nous voyons se développer des valeurs et des initiatives collectives et « durables » :
  • En période de crise, je crois que les notions de partage et d'entraide s'imposent davantage. Et cette économie collaborative permet de relier les individus entre eux, de créer des liens sociaux, de créer des nouvelles formes de solidarité et de développer des services locaux multi-acteurs.
  • De plus en plus informés et conscients de la rarification des ressources naturelles, certains voient la consommation collaborative comme un moyen de réduire l'empreinte écologique : économiser les ressources naturelles par des actes de déconsommation et par la mutualisation des produits, des services ou de capacités inexploitées.
  • Je trouve que la smart city est une bonne illustration d'une société collaborative, la ville devient un objet collaboratif résultant des interactions entre les collectivités, les entreprises et les citoyens. Les citoyens sont plus que jamais acteurs de leur ville comme consommateurs et producteurs de valeurs, de données et de services.
  • Des collectifs se créent, à l'instar de OuiShare, pour essayer de définir et construire une société collaborative. Même si je n'adhère pas à certaines idées radicales, le livre « Société Collaborative » de OuiShare ouvre des portes de réflexion et esquisse des idées sur ce que pourrait être cette société collaborative.
  • Aux Etats-Unis, naissent des initiatives d'empowerment des citoyens transformant des jeunes défavorisés ou bénévoles en citoyens autonomes et responsables en les faisant participer à des activités pour la communauté (ex.: Community House).
Je finirais sur les quatre points qui me semblent les plus urgents et qui montrent la nécessité de tendre vers une société plus collaborative et solidaire :
  • Les motivations écologiques : l'épuisement des ressources naturelles et l'empreinte écologique sont des réalités pour lesquelles nous devons agir et la consommation durable et responsable doit pouvoir contribuer à réduire notre consommation de ressources naturelles et à réduire l'empreinte écologique. C'est une démarche individuelle, locale, nationale et mondiale.
  • L'évolution du travail : le marché de l'emploi est en crise, l'économie collaborative doit permettre de créer une nouvelle forme d'emplois. Pour autant, cela ne veut pas dire qu'il faille faire n'importe quoi. Il faut réglementer et assurer protection sociale et juridique. En attendant, des Coopératives d'Activités et d'Emplois (CAE) destinées aux entrepreneurs et aux travailleurs indépendants existent. Ce sont des mutualistes communautaires qui permettent de garantir un niveau de salaire et de couverture sociale à ses adhérents.
  • Par ailleurs, l'automatisation et la robotisation seront les vecteurs d'une nouvelle ère dans laquelle, je suis persuadée, le partage et la solidarité auront une place essentielle.
  • L'éducation : de nouveaux modèles émergent tournés autour de l'encapacitation, l'apprentissage partout (MOOC), l'apprentissage tout le temps (Lifelong Learning), il faut les booster pour permettre à chacun, jeunes comme seniors, de développer notre capacité d'adaptation et d'action dans un monde en perpétuelle évolution.

Conclusion

L'économie collaborative est devenue bien plus que la production, la mutualisation et l'entretien de biens en commun, matériels ou immatériels. Elle a évoluée pour répondre aux besoins de la société moderne, elle s'est dématérialisée pour répondre à des besoins d'accéder à des services. Elle s'est étendue avec internet et elle se propage à grande vitesse avec l'accélération numérique. Elle intègre pleinement la notion de « multitude » au sens digital du terme par le biais des plate-formes collaboratives.
Mais bien plus que cela, nous voyons l'émergence de mouvements tendant vers une société plus collaborative pour donner plus de sens dans un environnement en pleine mutation, une société tournée vers la responsabilisation, l'engagement, la collaboration, la solidarité, le partage, l'échange et une consommation durable. L'accélération numérique est finalement a double tranchant : elle est une des causes de la mutation de notre société mais elle facilite aussi l'accès à cette société contributive.


-- Agnès Vugier

jeudi 14 mai 2015

Accélération technique : avancée ou menace pour l'humanité?



Accélération technique : avancée ou menace pour l'humanité ?

Introduction

Depuis la machine de Turing – l'ancêtre de nos ordinateurs - imaginée en 1936 par le génie du même nom, nous avons réalisé des percées techniques phénoménales. Cette accélération technique nous permet de réaliser plus de choses par unité de temps dans notre société moderne.
Je suis la première à m'émerveiller des nouvelles technologies et j'en vois les bénéfices dans divers domaines comme celui de la santé. Alors pourquoi cet article et ce titre ? L'écriture de ce billet a été motivée par une rencontre qui m'a donné l'envie d'écrire sur les bénéfices du healthcare, la lecture de plusieurs articles dont un récent au titre provocateur de « Can robots replace humans ? » et enfin par ma passion pour ces sujets. L'objectif de ce billet est de remettre en relief les bénéfices de l'accélération technique mais également ses risques.

1. Quels sont les avantages de cette accélération technique ?

Les exemples des bénéfices des progrès techniques dans divers secteurs sont multiples. Le but n'est pas de tous les citer - de nombreux ouvrages les mentionnent déjà - mais d'en énumérer quelques-uns.

1.1. Healthcare : vivre plus longtemps et mieux

Ce chapitre me tient particulièrement à cœur.

J'ai eu l'occasion d'échanger avec un homme courageux il y a deux mois. Sa femme est atteinte de la maladie d'Alzheimer à 54 ans. Il s'est confié sur la nécessité de la surveiller continuellement et du bénéfice des bracelets connectés. Ces bracelets ne sont pas nouveaux, certaines maisons de retraite françaises en équipent leurs résidents souffrant de cette maladie depuis 2009 afin de signaler automatiquement les malaises et éviter les fugues. Il m'a également confié que sa femme oubliait régulièrement de prendre ses médicaments, je lui ai informé des nouveaux systèmes d'aide à la prise de médicaments. Il est touchant de voir de quelle manière ces travaux permettent d'améliorer des vies. Cependant, la « démocratisation », les questions du coût et de la prise en charge des nouvelles solutions de healthcare par les systèmes d'assurances sociales restent des sujets entiers à traiter.

Dans une autre branche médicale, l'imagerie médicale du futur bénéficie de l'évolution technologique pour se perfectionner dans la prévention, la détection précoce, le suivi de l'évolution d'une maladie mais également la personnalisation du traitement. C'est le cas dans la lutte contre la maladie d'Alzheimer.

Par ailleurs, le Big Data, l'analyse des données en masse, permet une meilleure compréhension de notre monde. Les applications dans le domaine de la santé sont nombreuses notamment le super-calculateur Watson permettant l'analyse des mutations génétiques à l'origine des tumeurs et donc d'accélérer la recherche contre le cancer.

Il y a beaucoup d'autres exemples, comme la biotechnologie, la nanotechnologie, les nouvelles prouesses prothésiques, la multiplication des health apps permettent de prévenir ou de surveiller certaines maladies cardio-vasculaires, obésité, diabète, etc. Toutes ces nouvelles technologies permettent de prolonger la vie et de mieux vivre.

1.2. Meilleure gestion de notre environnement

Bien sûr, il y a également des applications dans le domaine de l'environnement avec les énergies renouvelables, les batteries de stockage d'énergie, les compteurs intelligents, les smart grids qui permettent une meilleure régulation de la production et de la consommation énergétique, les capteurs anti-pollution, l'ultrafiltration membranaire pour le traitement des eaux, les étonnantes bulles comestibles pour remplacer les bouteilles d'eau en plastique, etc. Cela montre d'une part qu'il y a une prise de conscience collective de la nécessité de préserver notre patrimoine naturel et d'autre part que les avancées techniques peuvent y contribuer.

1.3. Vers de nouvelles expériences utilisateurs et un service personnalisé

Les objets /services connectés, le Big Data, le data management, le parcours client omnicanal, les bornes tactiles interactives dans les points de vente, l'usage du mobile généralisé, la convergence du « offlline » et du « online », tous ces sujets ont un point en commun, une meilleure connaissance du client afin de lui offrir un service personnalisé, de simplifier son quotidien et d'enrichir l'expérience utilisateur. Tout cela part d'un besoin de faciliter notre quotidien.

1.4. Un levier économique pour les entreprises

La transformation numérique contribue aux résultats d'une entreprise et reste un de ses principaux leviers économiques et de compétitivité.

2. Quels en sont les risques ?

2.1. Société moderne : système complexe et effet papillon accéléré

Un système complexe est caractérisé par les interactions d'un grand nombre d'éléments mais aussi une complexité qui empêche d'en prévoir les rétroactions. La complexité s'accroît avec l'augmentation du nombre d'éléments. L'exploration des données nous permet de mieux comprendre notre environnement mais pas de prévoir les aléas car les modèles analytiques se basent forcément sur ce que nous connaissons et évidemment pas sur ce que nous ignorons.
La société est un système complexe et cette complexité s'est accrue avec sa modernisation et la mondialisation. Ainsi, l'éruption du volcan islandais Laki en 1783 aurait contribué indirectement au déclenchement de la révolution française de 1789 : l'émission de dioxyde de souffre aurait eu pour conséquences des bouleversements climatiques exceptionnels détruisant les récoltes, contribuant à la famine - une des causes de la révolution française. Narrative fallacy? ;) Dans tous les cas, les impacts se sont étendus avec la mondialisation comme le montre l'éruption du volcan Eyjafjallajökull en 2010 qui a eu des conséquences physiques et économiques locales mais aussi à l'échelle internationale. La crise des subprimes en 2007 est également un bon exemple d'effet de propagation lié à la mondialisation de la société moderne, de même qu'il est devenu nécessaire d'établir une gouvernance mondiale synchronisée afin de contenir la propagation de certaines épidémies.
Une autre caractéristique de la société moderne est l'accélération permise par l'accélération technologique. Alors que peut donner le mariage entre une complexité accrue et une accélération ? Probablement, une maîtrise diminuée et des impacts accélérés si nous ne prenons pas garde. D'où l'importance d'être prudent et de ne pas se précipiter car la marche arrière peut être difficile voire impossible.

Alors quels pourraient être les risques possibles de cette accélération technique ?

2.2. Des impacts écologiques

La nature est un écosystème complexe où êtres vivants, éléments, structures sont imbriqués les uns aux autres. J'ai une illustration forte en tête : les abeilles sont un maillon indispensable dans l'écosystème terrestre via le processus de pollinisation nécessaire à la reproduction des plantes, maillons de la chaîne de vie. Pourtant, l'utilisation irraisonnée des pesticides, d'antibiotiques et les manipulations génétiques ont fragilisé et menacent de disparition cette espèce et donc tout l'écosystème. Nous voulions augmenter la productivité, réduire les risques d'infections et finalement nous dégradons notre environnement. Afin de rattraper la situation, certains chercheurs travaillent sur la préservation de certaines espèces sauvages. Est-ce que cela sera suffisant ? Allons-nous devoir polliniser nous-mêmes les plantes comme cela est fait dans les vergers de Sichuan en Chine ? Nous n'avons pas su anticiper les impacts collatéraux et la complexité de ce système nous empêche de toute façon d'en connaître finement toutes les rétroactions.
Dans un autre registre, l'exploitation du gaz de schiste, dont le but est d'augmenter les approvisionnements énergétiques mondiaux, a causé des contaminations des nappes phréatiques et une fragmentation des paysages. Ce sujet ramène bien sûr à la problématique de l'épuisement des ressources naturelles et à l'évolution de l'empreinte écologique mondiale qui ne fera qu'augmenter avec la croissance démographique et la croissance de la production industrielle mondiale si nous ne réagissons pas.

2.3. Des impacts socio-économiques et culturels

2.3.1. Emploi et modèle économique

Avec la robotisation, l'automatisation, la digitalisation se posent bien sûr le problème de la suppression et de la polarisation des emplois ainsi que l'accroissement des inégalités.

La théorie de « l'effet de déversement » suppose que le gain de productivité d'une entreprise grâce aux progrès techniques va se traduire par une augmentation des salaires, une baisse des prix et donc une augmentation des revenus qui se porteront sur d'autres secteurs où la production et la création d'emplois vont donc croître, une hausse des investissements, tous ces points contribuant à la croissance économique. La technologie détruirait des emplois mais en créerait autant par ailleurs. Les personnes licenciées pourraient trouver des emplois dans les nouvelles entreprises auxquelles s'adressent les nouvelles demandes. Avec l'accélération numérique, cette théorie est remise en cause :

  1. Cette théorie n'est plus valable s'il n'y a pas redistribution des gains de productivité donc si la hausse de salaires, la baisse des prix et la hausse des investissements sont remplacées par une hausse des bénéfices non investis. Il est donc primordial de s'assurer de cet équilibre.
  2. La reconversion professionnelle n'est pas fluide pour des raisons évidentes d'écarts de qualifications entre les emplois supprimés et les nouveaux emplois à pourvoir. D'où la nécessité de mettre en place des programmes de formation permettant de préparer ces reconversions professionnelles. De la même manière, l'éducation a un rôle majeur dans la préparation et l'orientation des générations futures aux nouveaux métiers. Elle doit surtout permettre de développer leurs capacités d'adaptation.
  3. Le problème de l'accroissement des inégalités se pose également car les nouveaux emplois liés aux nouvelles technologies sont des emplois qualifiés. Afin de limiter les inégalités, ce « déversement » devrait s'appliquer à la majorité de la population active, tous les niveaux de qualifications confondus.
  1. Un secteur quaternaire est évoqué dont la définition évolue en fonction des auteurs : « services de santé », « services à la personne », « services fondés sur la connaissance », « éducation supérieure », « recherche et développement », « communicationnels », « artistiques » ou « relevant de finalités personnelles et sociales ». Finalement, tous les secteurs sont touchés par l'accélération numérique : le domaine de la santé (ex. : stratégie nationale de e-santé fondée sur la robotique au Japon), la recherche (super-calculateurs dans la R&D), la formation (MOOC), le retail, l'assurance, le secteur bancaire, les  transports, l'énergie, la construction, la communication (réseaux sociaux) et même l'artisanat (ex. : numérisation, 3D printing, « Do It Yourself »), etc. Dans ce contexte, de façon durable, sur quels secteurs vont se déverser les emplois supprimés ? Est-ce qu'ils vont permettre d'assurer une constance voire une expansion de l'emploi ?
  2. Ce « déversement » s'il y a lieu, ne sera pas immédiat surtout s'il n'est pas anticipé.

Par ailleurs, l'économie collaborative, « l'uberisation », l'infiltration de certains mastodontes du numérique dans des secteurs d'activités diversifiés et hétérogènes semblent faire croire que nous tendons vers un modèle concentré autour de gros fournisseurs de plate-formes de services.

2.3.2. Vie privée et éthique

Avec le Big Data, l'Internet Of Everything, se posent les questions de la sécurité des données, de la confidentialité et les risques pour la vie privée.

D'autre part, le débat éthique autour de la convergence des techniques bio-médicales et des pratiques sélectives, pouvant amener vers l'eugénisme ou l'éradication des caractères pouvant être jugés comme handicapants et défectueux, reste entier.

2.3.3. Impacts culturels

Le progrès technique a contribué de façon évidente à l'ouverture des frontières entre les pays et a facilité l'accès aux éléments culturels de pays très éloignés. L'un des risques de dérive que je vois est une uniformisation des façons d'être, de faire et de penser et donc la disparition  progressive de notre richesse et diversité culturelle. Par exemple, avec la numérisation et l'impression 3D, n'allons-nous pas tendre vers une disparition des métiers de l'Artisanat et de leur savoir-faire? Nous retrouvons également cette uniformisation dans notre consommation : fast food, uniformisation des critères de beauté et chirurgie esthétique, etc. Et je ne me lance pas ici dans le débat passionnant de la "planétarisation" qui suggère une mutation anthropo-technologique de l'homme vers une nouvelle espèce post-humaine. ;)

3. La seule alternative : le Développement durable

Est-ce que cela signifie que nous devons tout stopper net ? Bien sûr que non. Les progrès techniques ont permis d'améliorer considérablement les conditions de vie. Sans pour autant s'inscrire dans un mouvement écologiste, je pense qu'ils doivent suivre une logique de développement durable pour être bénéfiques, à savoir un développement qui répond aux besoins actuels sans compromettre ceux des générations futures d'un point de vue écologique, social, économique et culturel.
Au regard de l'écologie, ils doivent contribuer à préserver les ressources naturelles à long terme et au minima limiter les impacts environnementaux : travailler sur la régulation production et de la consommation énergétique, sur l'émergence de nouvelles hautes technologies moins consommatrices en ressources, sur la recherche de nouvelles sources d'énergie non polluantes et renouvelables, sur le recyclage, favoriser les transports collectifs, etc.
Sous un œil socio-culturel, ils doivent favoriser l'équité sociale en limitant les inégalités entre les individus dans le respect des individus et des cultures : l'impact sur les emplois, sur le respect de la vie privée et l'éthique. Par ailleurs, l'émergence d'une culture "commune" doit enrichir le partage et la diversité culturelle et non devenir une culture de "masse" appauvrie par l'uniformisation.
Enfin d'un point de vue économique, ils doivent s'intégrer dans une gestion économique saine et durable en respectant les autres piliers susmentionnés.

Pour cela, nous devons élargir notre vision locale et adopter une vision systémique. Les autorités publiques et les entreprises ont bien évidemment des responsabilités dans la tenue des enjeux du développement durable, tout comme chacun d'entre nous devons y contribuer.

Conclusion

Les progrès techniques sont inévitables car ils répondent à des besoins fondamentaux de l'humanité et à une soif de connaissances illimitée. Ils ont permis d'améliorer considérablement nos conditions de vies et ont un bilan globalement positif. Mais ils comportent également des risques que nous devons essayer d'identifier et pour lesquels nous devons déterminer des plans d'actions. Notre plus gros risque est de sous-estimer la complexité de notre société moderne et l'effet d'accélération. D'où la nécessité de ne pas vouloir aller trop vite. Pour être bénéfiques ces progrès techniques doivent s'inscrire dans une démarche de développement durable : répondre aux besoins actuels en préservant les chances pour nos descendants selon les 4 piliers : environnemental, social, économique et culturel.


-- Agnès Vugier

Mon coeur s'accélère,
Pluie, Lumière,Vent, Neige,
Tous m'échappent, trop vite.