jeudi 14 mai 2015

Accélération technique : avancée ou menace pour l'humanité?



Accélération technique : avancée ou menace pour l'humanité ?

Introduction

Depuis la machine de Turing – l'ancêtre de nos ordinateurs - imaginée en 1936 par le génie du même nom, nous avons réalisé des percées techniques phénoménales. Cette accélération technique nous permet de réaliser plus de choses par unité de temps dans notre société moderne.
Je suis la première à m'émerveiller des nouvelles technologies et j'en vois les bénéfices dans divers domaines comme celui de la santé. Alors pourquoi cet article et ce titre ? L'écriture de ce billet a été motivée par une rencontre qui m'a donné l'envie d'écrire sur les bénéfices du healthcare, la lecture de plusieurs articles dont un récent au titre provocateur de « Can robots replace humans ? » et enfin par ma passion pour ces sujets. L'objectif de ce billet est de remettre en relief les bénéfices de l'accélération technique mais également ses risques.

1. Quels sont les avantages de cette accélération technique ?

Les exemples des bénéfices des progrès techniques dans divers secteurs sont multiples. Le but n'est pas de tous les citer - de nombreux ouvrages les mentionnent déjà - mais d'en énumérer quelques-uns.

1.1. Healthcare : vivre plus longtemps et mieux

Ce chapitre me tient particulièrement à cœur.

J'ai eu l'occasion d'échanger avec un homme courageux il y a deux mois. Sa femme est atteinte de la maladie d'Alzheimer à 54 ans. Il s'est confié sur la nécessité de la surveiller continuellement et du bénéfice des bracelets connectés. Ces bracelets ne sont pas nouveaux, certaines maisons de retraite françaises en équipent leurs résidents souffrant de cette maladie depuis 2009 afin de signaler automatiquement les malaises et éviter les fugues. Il m'a également confié que sa femme oubliait régulièrement de prendre ses médicaments, je lui ai informé des nouveaux systèmes d'aide à la prise de médicaments. Il est touchant de voir de quelle manière ces travaux permettent d'améliorer des vies. Cependant, la « démocratisation », les questions du coût et de la prise en charge des nouvelles solutions de healthcare par les systèmes d'assurances sociales restent des sujets entiers à traiter.

Dans une autre branche médicale, l'imagerie médicale du futur bénéficie de l'évolution technologique pour se perfectionner dans la prévention, la détection précoce, le suivi de l'évolution d'une maladie mais également la personnalisation du traitement. C'est le cas dans la lutte contre la maladie d'Alzheimer.

Par ailleurs, le Big Data, l'analyse des données en masse, permet une meilleure compréhension de notre monde. Les applications dans le domaine de la santé sont nombreuses notamment le super-calculateur Watson permettant l'analyse des mutations génétiques à l'origine des tumeurs et donc d'accélérer la recherche contre le cancer.

Il y a beaucoup d'autres exemples, comme la biotechnologie, la nanotechnologie, les nouvelles prouesses prothésiques, la multiplication des health apps permettent de prévenir ou de surveiller certaines maladies cardio-vasculaires, obésité, diabète, etc. Toutes ces nouvelles technologies permettent de prolonger la vie et de mieux vivre.

1.2. Meilleure gestion de notre environnement

Bien sûr, il y a également des applications dans le domaine de l'environnement avec les énergies renouvelables, les batteries de stockage d'énergie, les compteurs intelligents, les smart grids qui permettent une meilleure régulation de la production et de la consommation énergétique, les capteurs anti-pollution, l'ultrafiltration membranaire pour le traitement des eaux, les étonnantes bulles comestibles pour remplacer les bouteilles d'eau en plastique, etc. Cela montre d'une part qu'il y a une prise de conscience collective de la nécessité de préserver notre patrimoine naturel et d'autre part que les avancées techniques peuvent y contribuer.

1.3. Vers de nouvelles expériences utilisateurs et un service personnalisé

Les objets /services connectés, le Big Data, le data management, le parcours client omnicanal, les bornes tactiles interactives dans les points de vente, l'usage du mobile généralisé, la convergence du « offlline » et du « online », tous ces sujets ont un point en commun, une meilleure connaissance du client afin de lui offrir un service personnalisé, de simplifier son quotidien et d'enrichir l'expérience utilisateur. Tout cela part d'un besoin de faciliter notre quotidien.

1.4. Un levier économique pour les entreprises

La transformation numérique contribue aux résultats d'une entreprise et reste un de ses principaux leviers économiques et de compétitivité.

2. Quels en sont les risques ?

2.1. Société moderne : système complexe et effet papillon accéléré

Un système complexe est caractérisé par les interactions d'un grand nombre d'éléments mais aussi une complexité qui empêche d'en prévoir les rétroactions. La complexité s'accroît avec l'augmentation du nombre d'éléments. L'exploration des données nous permet de mieux comprendre notre environnement mais pas de prévoir les aléas car les modèles analytiques se basent forcément sur ce que nous connaissons et évidemment pas sur ce que nous ignorons.
La société est un système complexe et cette complexité s'est accrue avec sa modernisation et la mondialisation. Ainsi, l'éruption du volcan islandais Laki en 1783 aurait contribué indirectement au déclenchement de la révolution française de 1789 : l'émission de dioxyde de souffre aurait eu pour conséquences des bouleversements climatiques exceptionnels détruisant les récoltes, contribuant à la famine - une des causes de la révolution française. Narrative fallacy? ;) Dans tous les cas, les impacts se sont étendus avec la mondialisation comme le montre l'éruption du volcan Eyjafjallajökull en 2010 qui a eu des conséquences physiques et économiques locales mais aussi à l'échelle internationale. La crise des subprimes en 2007 est également un bon exemple d'effet de propagation lié à la mondialisation de la société moderne, de même qu'il est devenu nécessaire d'établir une gouvernance mondiale synchronisée afin de contenir la propagation de certaines épidémies.
Une autre caractéristique de la société moderne est l'accélération permise par l'accélération technologique. Alors que peut donner le mariage entre une complexité accrue et une accélération ? Probablement, une maîtrise diminuée et des impacts accélérés si nous ne prenons pas garde. D'où l'importance d'être prudent et de ne pas se précipiter car la marche arrière peut être difficile voire impossible.

Alors quels pourraient être les risques possibles de cette accélération technique ?

2.2. Des impacts écologiques

La nature est un écosystème complexe où êtres vivants, éléments, structures sont imbriqués les uns aux autres. J'ai une illustration forte en tête : les abeilles sont un maillon indispensable dans l'écosystème terrestre via le processus de pollinisation nécessaire à la reproduction des plantes, maillons de la chaîne de vie. Pourtant, l'utilisation irraisonnée des pesticides, d'antibiotiques et les manipulations génétiques ont fragilisé et menacent de disparition cette espèce et donc tout l'écosystème. Nous voulions augmenter la productivité, réduire les risques d'infections et finalement nous dégradons notre environnement. Afin de rattraper la situation, certains chercheurs travaillent sur la préservation de certaines espèces sauvages. Est-ce que cela sera suffisant ? Allons-nous devoir polliniser nous-mêmes les plantes comme cela est fait dans les vergers de Sichuan en Chine ? Nous n'avons pas su anticiper les impacts collatéraux et la complexité de ce système nous empêche de toute façon d'en connaître finement toutes les rétroactions.
Dans un autre registre, l'exploitation du gaz de schiste, dont le but est d'augmenter les approvisionnements énergétiques mondiaux, a causé des contaminations des nappes phréatiques et une fragmentation des paysages. Ce sujet ramène bien sûr à la problématique de l'épuisement des ressources naturelles et à l'évolution de l'empreinte écologique mondiale qui ne fera qu'augmenter avec la croissance démographique et la croissance de la production industrielle mondiale si nous ne réagissons pas.

2.3. Des impacts socio-économiques et culturels

2.3.1. Emploi et modèle économique

Avec la robotisation, l'automatisation, la digitalisation se posent bien sûr le problème de la suppression et de la polarisation des emplois ainsi que l'accroissement des inégalités.

La théorie de « l'effet de déversement » suppose que le gain de productivité d'une entreprise grâce aux progrès techniques va se traduire par une augmentation des salaires, une baisse des prix et donc une augmentation des revenus qui se porteront sur d'autres secteurs où la production et la création d'emplois vont donc croître, une hausse des investissements, tous ces points contribuant à la croissance économique. La technologie détruirait des emplois mais en créerait autant par ailleurs. Les personnes licenciées pourraient trouver des emplois dans les nouvelles entreprises auxquelles s'adressent les nouvelles demandes. Avec l'accélération numérique, cette théorie est remise en cause :

  1. Cette théorie n'est plus valable s'il n'y a pas redistribution des gains de productivité donc si la hausse de salaires, la baisse des prix et la hausse des investissements sont remplacées par une hausse des bénéfices non investis. Il est donc primordial de s'assurer de cet équilibre.
  2. La reconversion professionnelle n'est pas fluide pour des raisons évidentes d'écarts de qualifications entre les emplois supprimés et les nouveaux emplois à pourvoir. D'où la nécessité de mettre en place des programmes de formation permettant de préparer ces reconversions professionnelles. De la même manière, l'éducation a un rôle majeur dans la préparation et l'orientation des générations futures aux nouveaux métiers. Elle doit surtout permettre de développer leurs capacités d'adaptation.
  3. Le problème de l'accroissement des inégalités se pose également car les nouveaux emplois liés aux nouvelles technologies sont des emplois qualifiés. Afin de limiter les inégalités, ce « déversement » devrait s'appliquer à la majorité de la population active, tous les niveaux de qualifications confondus.
  1. Un secteur quaternaire est évoqué dont la définition évolue en fonction des auteurs : « services de santé », « services à la personne », « services fondés sur la connaissance », « éducation supérieure », « recherche et développement », « communicationnels », « artistiques » ou « relevant de finalités personnelles et sociales ». Finalement, tous les secteurs sont touchés par l'accélération numérique : le domaine de la santé (ex. : stratégie nationale de e-santé fondée sur la robotique au Japon), la recherche (super-calculateurs dans la R&D), la formation (MOOC), le retail, l'assurance, le secteur bancaire, les  transports, l'énergie, la construction, la communication (réseaux sociaux) et même l'artisanat (ex. : numérisation, 3D printing, « Do It Yourself »), etc. Dans ce contexte, de façon durable, sur quels secteurs vont se déverser les emplois supprimés ? Est-ce qu'ils vont permettre d'assurer une constance voire une expansion de l'emploi ?
  2. Ce « déversement » s'il y a lieu, ne sera pas immédiat surtout s'il n'est pas anticipé.

Par ailleurs, l'économie collaborative, « l'uberisation », l'infiltration de certains mastodontes du numérique dans des secteurs d'activités diversifiés et hétérogènes semblent faire croire que nous tendons vers un modèle concentré autour de gros fournisseurs de plate-formes de services.

2.3.2. Vie privée et éthique

Avec le Big Data, l'Internet Of Everything, se posent les questions de la sécurité des données, de la confidentialité et les risques pour la vie privée.

D'autre part, le débat éthique autour de la convergence des techniques bio-médicales et des pratiques sélectives, pouvant amener vers l'eugénisme ou l'éradication des caractères pouvant être jugés comme handicapants et défectueux, reste entier.

2.3.3. Impacts culturels

Le progrès technique a contribué de façon évidente à l'ouverture des frontières entre les pays et a facilité l'accès aux éléments culturels de pays très éloignés. L'un des risques de dérive que je vois est une uniformisation des façons d'être, de faire et de penser et donc la disparition  progressive de notre richesse et diversité culturelle. Par exemple, avec la numérisation et l'impression 3D, n'allons-nous pas tendre vers une disparition des métiers de l'Artisanat et de leur savoir-faire? Nous retrouvons également cette uniformisation dans notre consommation : fast food, uniformisation des critères de beauté et chirurgie esthétique, etc. Et je ne me lance pas ici dans le débat passionnant de la "planétarisation" qui suggère une mutation anthropo-technologique de l'homme vers une nouvelle espèce post-humaine. ;)

3. La seule alternative : le Développement durable

Est-ce que cela signifie que nous devons tout stopper net ? Bien sûr que non. Les progrès techniques ont permis d'améliorer considérablement les conditions de vie. Sans pour autant s'inscrire dans un mouvement écologiste, je pense qu'ils doivent suivre une logique de développement durable pour être bénéfiques, à savoir un développement qui répond aux besoins actuels sans compromettre ceux des générations futures d'un point de vue écologique, social, économique et culturel.
Au regard de l'écologie, ils doivent contribuer à préserver les ressources naturelles à long terme et au minima limiter les impacts environnementaux : travailler sur la régulation production et de la consommation énergétique, sur l'émergence de nouvelles hautes technologies moins consommatrices en ressources, sur la recherche de nouvelles sources d'énergie non polluantes et renouvelables, sur le recyclage, favoriser les transports collectifs, etc.
Sous un œil socio-culturel, ils doivent favoriser l'équité sociale en limitant les inégalités entre les individus dans le respect des individus et des cultures : l'impact sur les emplois, sur le respect de la vie privée et l'éthique. Par ailleurs, l'émergence d'une culture "commune" doit enrichir le partage et la diversité culturelle et non devenir une culture de "masse" appauvrie par l'uniformisation.
Enfin d'un point de vue économique, ils doivent s'intégrer dans une gestion économique saine et durable en respectant les autres piliers susmentionnés.

Pour cela, nous devons élargir notre vision locale et adopter une vision systémique. Les autorités publiques et les entreprises ont bien évidemment des responsabilités dans la tenue des enjeux du développement durable, tout comme chacun d'entre nous devons y contribuer.

Conclusion

Les progrès techniques sont inévitables car ils répondent à des besoins fondamentaux de l'humanité et à une soif de connaissances illimitée. Ils ont permis d'améliorer considérablement nos conditions de vies et ont un bilan globalement positif. Mais ils comportent également des risques que nous devons essayer d'identifier et pour lesquels nous devons déterminer des plans d'actions. Notre plus gros risque est de sous-estimer la complexité de notre société moderne et l'effet d'accélération. D'où la nécessité de ne pas vouloir aller trop vite. Pour être bénéfiques ces progrès techniques doivent s'inscrire dans une démarche de développement durable : répondre aux besoins actuels en préservant les chances pour nos descendants selon les 4 piliers : environnemental, social, économique et culturel.


-- Agnès Vugier

Mon coeur s'accélère,
Pluie, Lumière,Vent, Neige,
Tous m'échappent, trop vite.