dimanche 15 mars 2015

La transformation digitale dans les grandes entreprises


La transformation digitale dans les grandes entreprises

Au cours de mon parcours professionnel, j'ai eu de nombreuses occasions de me poser cette question : pourquoi le changement est difficile ? Cette question est omniprésente avec l'accélération numérique. En tant que responsable de développement CRM/Portail, je la vis au quotidien. Je suis intimement convaincue de la nécessité de l'agilité, de positionner le client au centre du dispositif de réalisation afin d'apporter de la réactivité aux demandes exprimées par ce dernier et de s'assurer que les livrables finaux sont en adéquation avec les attentes du métier, afin d'éviter ce que l'on appelle « l'effet tunnel ». Cependant, dans les faits, cette vision n'est pas forcément partagée et son exécution complexe dans les grandes entreprises. J'y reviendrai par la suite. D'où mon envie de creuser un peu plus ce sujet. L’objectif est de comprendre pourquoi certaines grandes entreprises ont du mal à aborder leur transformation digitale et à intégrer ces nouvelles méthodes de travail. Ce billet a pour but d'en analyser les causes profondes, les solutions seront développées davantage dans un prochain billet. Il s 'agit de mon premier billet, je vous demanderais donc un peu d'indulgence. :-)

Un SI à l’image de son entreprise :

De la même manière que la stratigraphie, l'analyse du SI est révélatrice de la complexité de l'organisation, des processus métiers et de la manière dont s'est construite une entreprise.
  • Autour d'un savoir-faire : un SI au service d’un métier – « une profession spécifique exigeant apprentissage, expérience, et entrant dans un cadre légal ».
  • Construit en couches hétérogènes en fonction de l’apprentissage des métiers et l'évolution de l'entreprise pour répondre aux nouveaux besoins.
  • Un agglomérat d’applications développées dans les antennes locales et reprises au fur et à mesure en central pour les entreprises qui sont passées d’une organisation distribuée à une organisation centralisée.
  • Au final, un SI spaghetti complexe avec des connexions point à point entre les applications, des redondances dans les données et les fonctions, des codes complexes et spécifiques devenus difficiles à maintenir, synchroniser et exploiter.
  • Cette complexité et hétérogénéité sont d’autant plus importantes dans les organisations internationales où chaque branche possède sa propre culture organisationnelle et son propre SI.
L'évolution face au poids de l'existant :

Nous prenons souvent comme référence les entreprises GAFA ou les startups comme modèle d’entreprises 3.0 mais faut-il rappeler qu’ils sont les natifs du marché du numérique et qu’ils n’ont pas à gérer le poids de cet existant. Chez les entreprises GAFA, la transformation numérique constitue un changement continu alors que dans les anciennes grandes institutions, elle nécessite une vraie rupture voire une conduite de changement psychosociologique complexe. Il touche la stratégie de l’entreprise, son organisation, les processus métiers, sa performance, ses individus et « acquis sociaux ». Cependant, dans la pratique, cette rupture ne peut pas se faire de manière brutale pour être menée à bien et nécessite des étapes transitoires qui se doivent stables afin de limiter les périodes d'incertitudes qui pourraient amener tout simplement à l’abandon du projet.
De même, l’agilité et la flexibilité du SI doit passer avant tout par sa rationalisation, sa simplification et sa modernisation, chantiers que certaines grandes entreprises n’ont pas su anticiper et qui prennent énormément de temps et d'argent en terme de réalisation.

A la peur du changement : la préparation et l'accompagnement

Le changement, changer sa façon de travailler, sortir de sa zone de confort fait peur et la résistance au changement existe bien. Parfois, elle est justifiée car certains mots comme « optimisation », « mutualisation », « robotisation », « numérisation » s’accompagneront irrémédiablement de réduction de postes. Où certains verront un service amélioré pour le client ou une avancée technologique, d'autres verront - à juste titre - un impact direct sur leur emploi. Dans la méthode agile, où certains verront un gain d'efficacité en mettant en relation direct ceux qui expriment le besoin et ceux qui développent, d'autres verront la suppression de leurs postes de MOA/AMOA ou une réduction de leur périmètre. Mais pourquoi devons-nous évoluer alors que cela fonctionne comme tel ? « Ce n’est pas le changement qui fait peur aux gens, mais l’idée qu’ils s’en font ». Certains ne verront pas l'intérêt général mais leur intérêt en particulier et c'est humain. C'est pourquoi ce changement doit être préparé et accompagné en informant, en faisant participer, en communiquant, en formant et en accompagnant les réaffectations/mobilités/reconversions professionnelles si nécessaire et au possible.

D'ailleurs, cet accompagnement ne s'arrête pas qu'aux portes des entreprises. Nos têtes pensantes ont également un rôle essentiel, un devoir je dirais même, dans l'anticipation de ces changements profonds, de structurer l'éducation afin de préparer au mieux les générations futures aux nouvelles méthodes de travail, aux nouvelles technologies, à s'adapter tout simplement aux nouvelles conditions, de les orienter vers les bons cursus – ceux qui ont de l'avenir. Combien de personnes de ma génération ont fait des études de chimie, d'automatisme ou d'électronique pour se retrouver au final à faire de l'informatique ? L'accompagnement se fait également dans les reconversions professionnelles. L'ère du numérique s 'accompagnera de suppression de certains types de postes et la création de nouvelles opportunités. L'importance est dans l'anticipation et savoir préparer les acteurs et les orienter vers les bonnes directions. Nous vivons le recul de l'âge de départ en retraite mais qu'est-il réellement fait pour l'emploi des seniors ? Il y a là aussi une conduite du changement à gérer.

D’une stratégie globale à son application sur le terrain : nécessité d'objectifs communs et de synchronisation

Qui n’a pas vécu une réorganisation globale ? Elle touche toutes les activités et les unités de l’organisation et s’accompagne d’un changement stratégique. Elle commence par la direction et la définition des axes stratégiques (l'attendu) puis se déclinent dans les différentes directions, départements, services. Entre l'annonce de la réorganisation et son application opérationnelle, des mois peuvent se passer car tout reste à écrire. Cette période peut sembler très longue et douloureuse pour les collaborateurs car elle reste une période d'incertitude.

Le plus souvent, les directions, départements et services déclinent ces axes stratégiques en fonction de leurs contextes, contraintes et objectifs propres sans prendre en considération la dimension systémique et transverse. Et là est l'un des grands challenges des grandes entreprises : la synchronisation. Comment faire bouger des milliers ou dizaine de milliers d'individus comme un seul ? D'autant plus si les objectifs fixés pour chacune des directions, départements sont différents. Certains seront objectivés par les coûts d'exploitation, d'autres par la mise en service en temps et en heure de projets structurants, par la mise en place de l'agilité, par l'adéquation de la solution par rapport aux besoins clients, etc. Cette synchronisation est essentielle à la transformation numérique et un point clé de l'entreprise 3.0. Et pourtant, plus l'organisation de l'entreprise est complexe et stratifiée, plus cette synchronisation est difficile. C'est ce que l'on observe dans les grandes entreprises.

L'agilité fait partie intégrante de la stratégie d'un grand nombre d'entreprises. Pourtant, son exécution est complexe sur le terrain. Pourquoi ? Il y a bien sûr la peur du changement. Mais le point essentiel est dans la synchronisation des différents acteurs, synchronisation qui commence dès la définition d'objectifs communs. Pour mettre en place une vraie méthode agile, une équipe de développement ne peut pas opérer seule. Elle a besoin de la collaboration et de l'appui des autres acteurs de la chaîne et doit prendre en compte le contexte global. Bien sûr, elle peut mettre en place des daily meetings, des POC, des tests automatisés, de l'intégration continue, du déploiement automatisé. Mais l'ouvrage reste incomplet car l'agilité nécessite de se centrer autour du client et doit être apportée à l'ensemble de la chaîne de production y compris dans les tâches pour lesquelles l'équipe de développement est dépendante d'autres entités. Pour pouvoir faire du « customer centric », il faut déjà avoir une direction cliente organisée pour et établir une relation de confiance. De la même façon, les possibles frictions entre équipe de développement et équipe d'exploitation résident dans le fait qu'ils n'ont pas les mêmes priorités : une usine de développement qui se doit agile pour répondre de manière réactive aux demandes d'évolutions métiers en décalage face à des processus d'exploitation lourds et longs visant à assurer la stabilité et l'exploitabilité du produit tout en réduisant les coûts (=> devops). Tout réside donc dans la façon de travailler ensemble, voir de quelle manière intégrer ou anticiper les contraintes de l'autre, de se synchroniser. Et le rôle de la direction est de s'assurer que les différentes entités partagent bien des objectifs d'entreprise communs.

D’un changement global à la conduite de changement individuelle : les managers vecteurs du changement

Lors d'une visite d'une antenne d'une entreprise, le responsable m'a remonté ses difficultés à amener son équipe à utiliser les nouvelles applications informatiques et à changer leurs méthodes de travail. En passant du temps avec les opérationnels, je me suis rendue compte du gap entre la stratégie et l'exécution : les opérationnels devaient jongler entre différentes activités en se basant sur des applications buggées, hétérogènes sans liaison entre elles, des processus loin d'être fluides. Ils avaient été avertis une semaine auparavant par mail que l'une des applications allait être remplacée et avaient reçu un manuel d'une cinquantaine de pages qu'ils devaient lire en guise de formation. Je ne dis pas qu'il n'y a pas une certaine résistance au changement. Mais je ne peux que confirmer que le changement est difficile dans ces conditions. Je le répète, tout changement doit être accompagné. C'est le rôle du manager de faire l'intermédiaire, d'informer, de communiquer, d'écouter, de comprendre et de remonter ces difficultés et ces dysfonctionnements. Malheureusement, de nombreux managers ne sont simplement pas préparés à cela. Dans les organisations classiques, ce changement passe avant tout par la préparation et la formation des managers. Ce sont les vecteurs du changement.

Conclusion :

Le poids de l'existant est une cause majeure de la difficulté des grandes institutions à aborder leur transformation digitale ; ces entreprises se sont construites autour d'un savoir-faire et ont évolué en fonction des besoins plutôt par extension et en complexifiant que de façon disruptive et en simplifiant. Il est nécessaire de prendre en compte cet existant dans la transformation numérique et cela prendra du temps.
Par ailleurs, comme tout changement, la transformation numérique génère de la peur. C'est pour cette raison qu'elle doit être accompagnée, elle doit prendre en compte les vrais retours du terrain et réajuster l'accompagnement si nécessaire. Le rôle des managers est primordial, ils sont les vecteurs du changement et doivent être préparés et formés pour cela.
Cette transformation numérique nécessite également collaboration et synchronisation entre les différents acteurs, que l'on retrouvera sous le terme d'holomorphisme dans certains beaux ouvrages dédiés à l'entreprise 3.0.


-- Agnès Vugier